12.
Je me suis rempli les poumons d’air frais, à peine posé le pied dehors. Chris Raleigh, Hartwig et moi avons dévalé la route de terre. Le fond de la vallée s’étendait en dessous de nous. Des rangées de vignes à l’abandon nous enserraient de chaque côté. Nous étions silencieux. Terrassés, sous le choc.
Une idée effrayante m’a transpercée. Nous étions à une altitude de trois cents mètres, complètement isolés. Quelque chose clochait.
— Pourquoi ici, Hartwig ?
— Pourquoi pas, c’est un endroit reculé et personne n’y monte jamais.
— Ce que je voulais dire, ai-je insisté, c’est pourquoi ici ? Ce lieu en particulier. Qui connaît cet endroit ?
— Du haut en bas de ces pentes, ce ne sont que propriétés isolées. Les grands groupes ont bouffé le fond de la vallée. Ces terres-là demandent plus de travail que de capital. Vérifiez sur les listings. Des dizaines d’entre elles sèchent sur pied à chaque saison. Tout le monde dans le coin connaît des endroits tels que celui-ci.
— Les premiers meurtres ont eu lieu en ville. Pourtant, il savait exactement où aller. À qui appartient ce clos ?
Hartwig a secoué la tête.
— Chais pas.
— Je vais le découvrir. Et je repasserai en revue leur chambre. Quelqu’un les avait dans le collimateur. Connaissait leurs projets. Brochures de voyage, cartes professionnelles, voyez si on trouve quelque chose auprès des services de location de limousines.
Plus bas, j’ai entendu le son d’un gros véhicule qui grimpait la route de terre. J’ai aperçu un Bronco des services de médecine légale de San Francisco qui s’arrêtait.
Claire Washburn était au volant. Je lui avais demandé de venir – dans l’espoir de comparer les indices des deux scènes de crime.
Je lui ai ouvert la portière et lui ai dit avec gratitude :
— Merci d’être venue, ma chérie.
Claire a fait non de la tête avec solennité.
— J’aurais aimé que les choses tournent différemment. C’est le genre d’appel que je n’aime jamais recevoir.
Elle a extirpé sa lourde silhouette de l’habitacle avec une agilité surprenante.
— J’ai un rendez-vous plus tard en ville, mais j’ai pensé jeter un coup d’œil au lieu du crime et à prendre contact avec le responsable.
J’ai présenté Claire à Frank Hartwig.
— Votre légiste est bien Bill Toll, n’est-ce pas ? lui a-t-elle demandé avec autorité.
Il a cillé, visiblement mal à l’aise. D’abord, il nous avait, moi et Raleigh, comme consultants. Mais il nous avait conviés. Et voilà que le légiste de San Francisco rappliquait.
— Du calme, je l’ai déjà joint sur son mobile, a dit Claire. Il m’attend.
Elle a aperçu l’équipe médicale penchée sur les sacs jaunes.
— Pourquoi ne pas aller jeter un coup d’œil ? fit-elle.
Tâchant de maintenir un semblant d’ordre, Hartwig lui a collé aux talons.
Raleigh m’a rejointe. Il avait l’air fatigué.
— Ça va ? lui ai-je demandé.
Il a fait non de la tête. Il gardait les yeux fixés sur le hangar où l’on avait jeté les corps pour s’en débarrasser.
Je me suis souvenue de la façon dont il m’avait calmée à la morgue.
— Cela fait longtemps que vous n’avez pas eu à encaisser un truc aussi moche ?
— Ça n’a rien à voir, m’a-t-il dit, avec ce même regard déstabilisé. Je voulais que vous sachiez... où que cela nous mène, mes liens avec la mairie n’entrent pas en ligne de compte. Il ne s’agit pas plus de rétention d’infos, Lindsay : je veux ce type.
Pour ma part, j’en étais déjà arrivée à la même conclusion. Rien à voir avec « la grande cravate ». Ni avec mes visées sur le poste de lieutenant. Ni même avec mon combat contre Negli.
On est restés tous les deux, côte à côte, un certain temps.
— Quoique je doute, reprit-il en brisant le silence, que vous et moi, on soit vraiment qualifiés pour représenter le dernier carré de l’institution du mariage.