36.
Hillary savait. J’en étais quasiment sûre. Mais pourquoi cachait-elle une chose pareille liée à la mort de sa sœur, je n’arrivais pas à me l’imaginer. « Les vieilles habitudes ont la peau dure », avait-elle dit.
Je voulais la revoir et je l’ai jointe par téléphone à la maison de famille de Shaker Heights.
— J’ai eu la chance de parler à Merrill Shortley, lui ai-je dit. J’ai besoin d’éclaircir quelques points.
— C’est un moment très stressant pour ma famille, comprenez-vous, inspecteur, m’a répliqué Hillary. On vous a dit tout ce que l’on savait.
Je ne désirais pas y aller trop fort. Elle avait perdu sa sœur en d’horribles circonstances. La maison de ses parents était endeuillée et en souffrance. Elle n’était nullement obligée de me parler.
— Merrill m’a précisé quelques petites choses concernant Kathy. Sur son mode de vie...
— Nous vous avons déjà parlé de tout cela, m’a-t-elle répondu sur la défensive. Mais nous vous avons dit aussi qu’après sa rencontre avec James, elle s’était rangée.
— C’est de cela que je veux vous entretenir. Merrill s’est souvenue de quelqu’un qu’elle voyait à San Francisco.
— Je croyais que nous vous avions dit que Kathy sortait avec beaucoup d’hommes.
— Avec celui-là, ça a duré longtemps. Il était plus vieux, marié. Un gros bonnet. Une célébrité, peut-être.
— Je n’étais pas la gardienne de ma sœur, s’est plainte Hillary.
— J’ai besoin d’un nom, madame Bloom. Cet homme pourrait être son assassin.
— J’ai peur de ne pas comprendre. Je vous ai déjà dit ce que je savais. Ma sœur ne me faisait pas vraiment de confidences. On menait des vies complètement différentes. Je suis sûre que vous avez déjà ajouté deux plus deux – il y avait beaucoup de choses que je n’approuvais pas.
— Vous m’avez dit lors de notre précédent entretien : « Les vieilles habitudes ont la peau dure. » À quelles habitudes faisiez-vous allusion ?
— Je crains bien de ne pas voir ce que vous voulez dire. La police de Cleveland s’occupe de l’affaire, inspecteur. On ne pourrait pas lui laisser faire son boulot ?
— J’essaie de vous aider, madame Bloom. Pourquoi Kathy a-t-elle quitté San Francisco ? Je crois que vous le savez. Quelqu’un la maltraitait-il ? Kathy avait-elle des ennuis ?
Hillary a repris d’un ton effrayé.
— Merci de tout ce que vous faites, inspecteur, mais je vais raccrocher maintenant.
— Ça surgira un jour ou l’autre, Hillary. C’est toujours comme ça que ça se passe. Via un agenda, sa note de téléphone. Kathy n’est pas seule en cause. Il y a quatre autres morts en Californie. Ils étaient eux aussi pleins d’espoir pour le temps qu’il leur restait à vivre, tout comme votre sœur. Et ils ne méritaient pas ça.
Elle a eu un sanglot dans la voix.
— Je ne vois pas du tout de quoi vous parlez.
J’ai senti qu’il me restait une dernière chance.
— C’est là que gît la vérité vraiment moche d’un assassinat. Si mon métier d’inspecteur de la criminelle m’a appris quelque chose, c’est que rien n’est fixé pour toujours. Hier, vous n’étiez qu’une innocente victime mais aujourd’hui vous êtes dans le bain vous aussi. Ce tueur va frapper une nouvelle fois et vous regretterez toute votre vie de ne pas m’avoir confié tout ce que vous saviez, quoi que ce fût.
Il y a eu un silence lourd de signification sur la ligne. Je savais ce qu’il trahissait : la lutte qui se livrait dans la conscience d’Hillary Bloom.
Puis il y eut un déclic. Elle avait raccroché.