12.
J’ai décidé de courir un risque énorme. Si je ratais mon coup, ça pouvait ficher mon dossier en l’air.
J’ai décidé de faire part de mes soupçons à Jenks.
Je l’ai retrouvé dans le même parloir, en compagnie de Leff, son avocat. Il ne voulait pas de cette entrevue, persuadé qu’un entretien avec la police n’avait plus d’intérêt. Et je ne tenais pas à dévoiler mes véritables intentions pour finir par nourrir l’argumentaire de la défense si je me trompais.
Jenks m’a paru renfrogné, presque déprimé. Son attitude cool et son apparence soignée en avaient pris un coup dans l’aile. Il était à cran, mal rasé.
— Vous voulez quoi encore ? a-t-il ironisé en me regardant à peine.
— Savoir si vous pouvez penser à quelqu’un qui aimerait vous voir ici, ai-je dit.
— Histoire de sceller le couvercle de mon cercueil ? m’a-t-il demandé avec un sourire sans joie.
— Disons que pour faire complètement mon devoir, je vous donne une dernière chance de le réouvrir au forcing.
Jenks a eu un reniflement sceptique.
— Sherman m’a dit que je vais être mis en examen à Napa pour deux autres meurtres. C’est pas fabuleux ? Si c’est vous qui m’offrez votre aide, je crois que je préfère courir le risque de prouver mon innocence moi-même.
— Je ne suis pas venue pour vous piéger, monsieur Jenks. Mais pour vous écouter.
Leff s’est penché sur Jenks et lui a murmuré à l’oreille. Il semblait l’encourager à me parler.
Le prisonnier m’a regardée d’un air dégoûté.
— Il y a quelqu’un qui se balade, qui connaît mon premier roman, et tâche de se faire passer pour moi. Cette personne veut aussi que je souffre. Est-ce si difficile à concevoir ?
— J’aimerais des noms, lui ai-je dit.
— Greg Marks.
— Votre ex-agent ?
— Il considère que je lui dois ma carrière, putain. Mon départ lui a fait perdre des millions. Et depuis que je l’ai quitté, il n’a pas retrouvé un seul client valable. Et c’est un violent. Marks appartient à un club de tir.
— Comment aurait-il fait main basse sur vos vêtements ? Ou comment aurait-il pu récupérer un échantillon de poils ?
— À vous de trouver. C’est vous la police.
— Etait-il au courant de votre présence à Cleveland ce soir-là ? Connaissait-il votre liaison avec Kathy Kogut ?
— Nick ne fait qu’avancer, nous a coupés Leff, que d’autres possibilités existent quant à celui qui pourrait être derrière ces crimes.
Je me suis repositionnée sur ma chaise.
— Qui d’autre savait pour le livre ?
Jenks fut agité d’un tic.
— Ce n’est pas quelque chose dont je faisais étalage. Deux, trois vieux amis. Joanna, ma première femme...
— L’un d’eux a-t-il une raison de vous piéger ?
Jenks a soupiré avec gêne.
— Mon divorce, comme vous le savez peut-être, n’a pas été une partie de plaisir des deux côtés. Il ne fait aucun doute qu’à une époque Joanna aurait été ravie de me rencontrer sur une route déserte où elle roulait à cent. Mais à présent qu’elle est à nouveau sur pied, qu’elle a refait sa vie, qu’elle a même fait connaissance avec Chessy... je ne crois pas. Non, ce n’est pas Joanna. Fiez-vous-en à moi.
J’ai ignoré sa remarque sans baisser les yeux.
— Vous m’avez raconté que votre ex-femme est venue chez vous.
— Une ou deux fois, peut-être.
— Ainsi donc, elle aurait eu accès à certaines choses. Au Champagne, peut-être ? Peut-être à ce qui était dans votre penderie ?
Jenks a paru soupeser cette éventualité un instant, puis un sourire méprisant a déformé sa bouche.
— Impossible. Non. Ce n’est pas Joanna.
— Comment pouvez-vous en être aussi sûr ?
Il m’a regardée comme s’il statuait sur une évidence.
— Joanna m’aimait. Et elle m’aime encore. Pourquoi croyez-vous qu’elle nous tourne autour, cherche à nouer une relation avec ma nouvelle femme ? Parce que la vue lui manque ? C’est parce qu’elle ne peut pas remplacer ce que je lui donnais. L’amour que je lui donnais. Elle est vide sans moi. Mais qu’est-ce que vous croyez ? Que Joanna a conservé des spécimens de mes poils dans un bocal depuis notre divorce ?
Il restait là à se caresser la barbe, la résolution sur son visage adoucie par la lueur d’une possibilité.
— Quelqu’un a une dent contre moi... mais Joanna... ce n’était qu’une petite employée quand je l’ai rencontrée. Elle ne faisait pas la différence entre Ralph Lauren et J.C. Penneys. Je lui ai rendu son amour-propre. Je me suis dévoué à elle et elle à moi. Elle s’est sacrifiée pour moi, a même pris deux jobs en même temps quand j’ai décidé d’écrire.
C’était dur de voir en Jenks autre chose que l’impitoyable salaud, auteur de ces horribles crimes.
— Vous avez dit que le smoking était un vieux costume. Vous ne l’avez même pas reconnu. Et l’arme, monsieur Jenks, le 9 mm. Vous avez dit que vous ne l’aviez pas vu depuis des années. Que vous pensiez que vous le gardiez quelque part dans votre maison du Montana. Etes-vous si sûr que tout ça n’ait pas pu avoir été prévu depuis un certain temps ?
J’ai vu Jenks moduler subtilement ses expressions alors qu’il en venait à envisager l’impossible conclusion.
— Vous avez dit que lorsque vous avez commencé d’écrire, Joanna a pris un second boulot pour aider à subvenir à vos besoins. Quel genre de boulot ?
Jenks a levé les yeux au plafond, puis a paru se souvenir.
— Elle a travaillé chez Saks.