8.
Quel tableau ! Cindy Thomas se fraya un passage dans la foule qui murmurait, les charognards qui assiégeaient le Grand Hyatt. Puis elle gémit à la vue des flics qui barraient le passage.
Il pouvait bien y avoir une centaine de badauds qui se pressaient autour de l’entrée : touristes armés d’appareils photo et de Caméscopes, employés se rendant au bureau ; d’autres brandissaient leur carte de presse en gueulant, tâchaient de convaincre qu’on les laisse passer. De l’autre côté de la rue, une camionnette des infos télévisées s’installait déjà, avec la façade de l’hôtel en toile de fond.
Après deux ans passés à couvrir les nouvelles locales de la rubrique « Métropole » du Chronicle, Cindy flairait là une histoire susceptible de faire décoller sa carrière. Elle en avait des frissons partout.
— La crime se trouve au Grand Hyatt, lui avait appris Sid Glass, son chef de rubrique, après qu’un membre du personnel eut intercepté la transmission de la police. Suzie Fitzpatrick et Tom Stone, les spécialistes des affaires criminelles du Chronicle, étaient tous les deux en reportage.
— Allez faire un tour là-bas, lui ordonna son boss à son grand étonnement.
Il n’eut pas à le lui répéter deux fois.
Mais à présent, devant le Hyatt, Cindy sentit que son bref coup de pot se terminait.
La rue était barricadée. De nouvelles équipes de télé pilaient à chaque seconde. Si elle ne trouvait pas quelque chose tout de suite, on filerait le bébé à Fitzpatrick ou à Stone. Ce qu’il lui fallait se trouvait à l’intérieur. Et elle, elle était sur le trottoir.
Elle repéra une file de limousines et s’avança jusqu’à la première – une stretch beige. Elle cogna à la vitre.
Le chauffeur leva les yeux de son journal, le Chronicle, comme de bien entendu, et abaissa la vitre en la voyant.
— Vous attendez Steadman ? demanda Cindy.
— Hum-hum, fit le chauffeur. Eddleson.
— Excusez-moi, excusez-moi, fit-elle avec un petit geste.
Mais intérieurement, elle rayonnait. Voilà mon passe-partout.
Elle s’attarda parmi la foule encore quelques secondes, puis se faufila à coups de coude jusqu’à l’entrée. Un jeune agent lui barra le chemin.
— Pardon, fit Cindy, d’un air tracassé. J’ai rendez-vous à l’hôtel.
— Quel nom ?
— Eddleson. Il m’attend.
Le cerbère compulsa un listing informatique pincé à une planchette.
— Vous avez le numéro de la chambre ?
Cindy fit non de la tête.
— Il m’a demandé de le retrouver au grill-room à onze heures.
Le grill-room du Hyatt servait de cadre à certains des meilleurs petits déjeuners « au sommet » de San Francisco.
Le jeune flic l’examina des pieds à la tête. Avec son blouson de cuir noir, son jean, ses sandales de chez Earthsake, Cindy imagina sans peine qu’elle avait tout sauf le look de quelqu’un attendu à un petit déjeuner « au sommet ».
— Mon rendez-vous avec Eddleson, insista Cindy en tapotant sa montre.
Le flic, distrait, lui fit signe de passer.
Elle était dans la place. Dans l’immense atrium de verre aux colonnes dorées s’élevant jusqu’au deuxième étage. Elle pouffa en voyant encore dans la rue tant de talents si chèrement payés et de visages hyperconnus.
Cindy Thomas était la première sur les lieux. Il lui suffisait maintenant de savoir quoi faire.
L’endroit bourdonnait de flics, de gens d’affaires qui réglaient leur note, de groupes de touristes, de personnel de l’hôtel en uniforme cramoisi. D’après le chef, il s’agissait d’un meurtre. Et des plus audacieux, étant donné la réputation éminente de l’hôtel.
Elle ignorait à quel étage, quand il avait eu lieu et même si c’était celui d’un client.
Elle avait beau être dans la place, elle n’y entendait que pouic.
Cindy aperçut un amas de valises sans surveillance de l’autre côté du hall d’entrée. Elles avaient l’air d’appartenir à un groupe important. Un chasseur les sortait.
Elle s’approcha et s’agenouilla près de l’un des bagages, faisant mine d’en retirer quelque chose.
Un second groom passa près d’elle.
— Taxi ?
Cindy secoua la tête.
— On vient me chercher.
Puis, ouvrant de grands yeux sur le chaos ambiant :
— Je viens de me lever. J’ai manqué quoi ?
— Vous n’êtes pas au courant ? Vous devez bien être la seule. Il y a eu du ramdam à l’hôtel, cette nuit. Deux assassinats. Au vingt-neuvième.
Il baissa la voix comme s’il lui révélait le secret de sa vie.
— Vous n’avez pas vu ce grand mariage hier au soir ? Il s’agit du marié et de la mariée. Quelqu’un est entré par effraction dans la suite du Mandarin et les a surpris.
— Mon Dieu ! fit Cindy en reculant.
— Vous êtes sûre de ne pas avoir besoin qu’on vous porte ça dehors ? insista le chasseur.
Cindy se força à sourire.
— Merci, mais je vais attendre ici, à l’intérieur.
Elle aperçut un ascenseur qui s’ouvrait à l’autre bout du hall. Un groom en sortit en poussant un chariot à bagages. Ça devait être un monte-charge. À ce qu’elle pouvait voir, les flics n’en bloquaient pas l’accès.
Elle se faufila parmi l’animation du hall jusqu’à l’ascenseur. Elle appuya sur le bouton et la porte d’un brillant doré s’ouvrit. Dieu merci, il était vide.
Cindy y sauta et la porte se referma. Elle ne pouvait y croire. Elle avait du mal à croire à ce qu’elle faisait. Elle appuya sur vingt-neuf.
La suite du Mandarin.
Un double assassinat.
Son reportage.