22.
À peine de retour au Palais, j’ai appelé Claire et Cindy pour leur faire part de ce que j’avais découvert chez Saks, puis je suis allée rejoindre Chris Raleigh.
Je lui ai tout raconté et on a décidé d’implanter une inspectrice de l’unité des crimes sexuels dans le magasin. J’ai expédié un dessinateur voir Maryanne Perkins chez Saks.
Chris, à son tour, m’a appris quelque chose d’important. Roth et Mercer avaient communiqué nos dossiers de l’affaire au FBI.
J’ai ressenti comme un coup de poignard en pleine poitrine. J’ai couru aux toilettes, ai refermé la porte derrière moi, me suis appuyée au carrelage froid et ébréché. Salopards de mecs qui veulent tout contrôler ! Roth et Mercer, espèces de salauds !
Je me suis dévisagée dans la glace. J’avais le rouge aux joues, la peau enflammée.
Le FBI. C’était mon affaire – celle de Claire, de Cindy et de Raleigh. Elle avait plus d’importance pour moi que toute autre dont je m’étais occupée.
J’ai soudain senti mes jambes flageoler. Negli ? Le médecin m’avait avertie que j’aurais des crises de nausée ou des vertiges. Ma quatrième transfusion était prévue chez Moffett, le service d’hématologie, à cinq heures et demie.
Une sensation de vide accablante me tirait vers le bas, dans une alternance de colère et de peur. Je commençais à résoudre cette affaire. Je n’avais pas besoin que des intrus, en costume sombre et épingle de cravate, s’agitent alentour en menant maladroitement une autre enquête.
J’ai tiqué en me regardant dans la glace. Mes joues, rougies par la colère, étaient à présent pâles et sans vie. Mes yeux étaient d’un gris larmoyant. Mon corps semblait entièrement vidé de couleur.
Je me suis dévisagée jusqu’à ce qu’une voix familière reprenne du poil de la bête à l’intérieur de moi. Allez. Ressaisis-toi. Tu vas gagner – tu gagnes toujours.
Je me suis aspergé le visage d’eau froide. La sueur qui me baignait la nuque se mit à refluer.
Va pour cette fois. J’ai expiré avec un léger sourire. Mais que je ne t’y reprenne pas.
Peu à peu, une lueur familière s’est allumée dans mon œil et ma figure a retrouvé sa coloration normale. Il était quatre heures vingt. Je devais être chez Moffett à cinq heures. Je m’attaquerai demain aux noms de chez Saks.
Après m’être appliqué quelques touches de maquillage, j’ai regagné mon bureau.
À ma grande contrariété, Raleigh s’est pointé.
— À présent, vous allez pouvoir gérer leurs retombées, lui ai-je aboyé sans nécessité, en faisant référence au FBI.
— Je n’étais pas au courant, m’a-t-il répondu. Dès que je l’ai su, je vous l’ai dit.
— Ouais, ai-je opiné, je sais.
Raleigh s’est levé, est venu s’asseoir au coin de mon bureau, face à moi.
— Quelque chose ne va pas, hein ? Dites-moi. Je vous en prie.
Comment savait-il ? Peut-être était-il meilleur enquêteur que je voulais bien le croire.
Un instant, j’ai eu envie de lui parler. Mon Dieu, comme je voulais que ça sorte.
Puis Raleigh a fait quelque chose de tout à fait inattendu.
Il m’a décoché un de ces sourires confiants auxquels je ne pouvais faire autre chose que de me rendre. Il m’a soulevée de mon fauteuil et serrée contre lui.
J’ai été tellement surprise que je n’ai même pas résisté. J’étais comme de la gelée tremblotante dans ses bras. Ça n’avait vraiment rien d’érotique, et pourtant aucune bouffée de passion ne m’avait jamais traversée plus puissamment.
Raleigh m’a gardée ainsi jusqu’à ce que l’anxiété lentement se dissolve. Ici même, dans cette salle de garde merdique. Je ne savais que faire tout en ne désirant pas me libérer. Ni qu’il me relâche.
— Je pourrais vous coller un rapport pour ça, ai-je fini par marmonner contre son épaule.
Il n’a pas bougé.
— Vous voulez un stylo ?
Lentement, je me suis dégagée. Dans chaque nerf de mon corps, j’ai senti refluer un état d’alerte intense.
— Merci, ai-je murmuré avec gratitude.
— Vous n’avez pas l’air dans votre assiette, m’a-t-il dit gentiment. Notre journée est presque terminée. Vous voulez en parler devant un café ? Rien qu’un café, Lindsay, pas un rendez-vous.
J’ai regardé ma montre et, soudain, j’ai vu qu’il était presque cinq heures. Il fallait que je me rende chez Moffett.
Je lui ai jeté un coup d’œil dans lequel il a lu, j’espère, « une autre fois », alors que je me suis contentée de lui dire :
— J’peux pas. Faut que j’y aille.