10.
J’ai demandé à Joanna Wade si elle croyait Nicholas Jenks capable de commettre un meurtre.
Je ne pouvais lui en communiquer la raison, mais aucune importance. Joanna était rapide à déchiffrer. Je vis dans son regard qu’elle était choquée. Une fois calmée, je l’ai observée se livrant à une réflexion approfondie.
Elle a fini par me regarder et m’a redemandé :
— Vous avez déjà lu ses livres, inspecteur ?
— Un seul. Charme fatal. Un bouquin dur.
— Il vit en compagnie de ses personnages, inspecteur. Parfois, il oublie qu’il ne fait ça que pour gagner sa vie.
J’ai vu dans ses yeux qu’elle se culpabilisait. Je me suis penchée vers elle.
— Je ne voulais pas vous blesser. Mais il faut que je sache.
— S’il pourrait tuer quelqu’un ? S’il est capable d’assassinat ? Je le sais capable d’avilir complètement un autre être humain. C’est aussi un meurtre, non ? Il est ce qu’on appelle un sadique sexuel. Son père battait sa mère dans la penderie de la chambre à coucher en guise d’aphrodisiaque. Il fait de ses proies des faibles. Oui, le célèbre Nicholas Jenks m’a humiliée... mais laissez-moi vous dire le pire, le pire du pire. Il m’a abandonnée, inspecteur. Lui, pas moi.
Joanna s’est redressée et m’a lancé un sourire compatissant.
— J’ai rencontré Chessy quelquefois. À des déjeuners officiels, des galas de bienfaisance. On a même parlé un peu. Il n’a pas changé. Elle sait que je sais exactement ce qu’elle subit. Mais c’est quelque chose qu’on ne peut pas partager. Je perçois sa peur, je sais ce que c’est. Quand elle se regarde dans la glace, elle ne se reconnaît plus.
Mon sang était en ébullition. Au-delà de l’écorce et du vernis, j’entrevoyais la femme qu’avait été Joanna Wade – jeune, en manque, perturbée.
J’ai tendu la main et touché la sienne. J’avais ma réponse. J’ai refermé mon bloc, prête à me lever quand Joanna m’a surprise.
— J’ai cru que c’était lui. Enfin, pas vraiment. Mais j’ai pensé à Nick quand j’ai appris ces horribles crimes. J’ai pensé à son livre et je me suis dit : Ça pourrait être lui.
J’ai interrompu Joanna.
— Quel livre ?
— Le premier qu’il a écrit. Mariée à jamais. Je me suis dit que c’était ce qui vous avait amenée ici, ce qui le reliait aux meurtres.
Je l’ai dévisagée, plongée dans un abîme de perplexité.
— Mais de quoi vous parlez ?
— Je m’en souviens vaguement. Il a écrit ça avant notre rencontre. J’ai eu la chance insigne d’entrer dans sa vie au moment de son second roman non publié, qu’il a, dit-on, vendu récemment plus de deux millions de dollars. Mais l’autre, je l’avais oublié jusqu’à tout dernièrement. Ça parlait d’un étudiant en droit qui découvre sa femme avec son meilleur ami et les tue tous les deux. Et pour finir, il continue le carnage.
— Quel genre de carnage ? ai-je demandé.
Sa réponse m’a coupé le souffle.
— Il assassine de jeunes mariés. Ça ressemble beaucoup à ce qui est arrivé.