37.
Notre vol retour pour San Francisco décollait à quatre heures de l’après-midi. Je détestais, ô combien, repartir sans un nom. En particulier, quand je me sentais si près du but.
Quelqu’un de célèbre.
Porté sur la chose.
Pourquoi le protégeaient-ils ?
Bref, on avait beaucoup avancé en tout juste deux jours. Il était clair pour moi qu’une seule et même personne avait commis les trois doubles meurtres. Nous avions une piste solide la rattachant à San Francisco, une identité possible, une description confirmée. La piste était chaude ici et le serait encore plus, une fois rentrés.
Les deux enquêtes se mèneraient à l’échelon local. La police de Cleveland chargerait celle de Seattle de faire une perquisition au domicile de la mariée. Peut-être quelque chose dans ses effets personnels, un agenda, un e-mail sur son ordinateur divulgueraient-ils l’identité de son amant de San Francisco.
En attendant de monter à bord de notre avion pour quitter Cleveland, j’ai appelé ma boîte vocale. J’avais deux messages, l’un de Cindy, l’autre de Claire, me demandant des nouvelles de mon voyage et de notre affaire. Plus ceux de journalistes insistant pour que je commente le crime de Cleveland.
Puis j’entendis le timbre guttural de Merrill Shortley. Elle me laissait son numéro en Californie.
Je l’ai composé le plus vite que j’ai pu. Une gouvernante m’a répondu et j’ai entendu un bébé qui pleurait.
Quand Merrill a pris l’appel, j’aurais juré que sa froideur de surface avait craqué en partie.
— J’ai pensé, a-t-elle attaqué, que j’avais omis de vous dire quelque chose hier.
— Oui ? Ça fait du bien à entendre.
— Ce type dont je vous ai parlé. Celui avec lequel Kathy était maquée à San Francisco. Je vous ai dit la vérité. Je n’ai jamais su son nom.
— Bon, continuez.
— Mais il y avait certaines choses... je vous ai dit qu’il la traitait mal. Il était très porté sur des jeux sexuels. Accessoires, scénarios. Peut-être même qu’il filmait un peu. Le problème, c’était que Kathy aimait ces jeux-là.
Merrill s’est tue assez longtemps avant de poursuivre.
— Eh bien, je crois qu’il l’a poussée, qu’il l’a forcée à dépasser les limites de l’acceptable pour elle. Je me souviens d’avoir vu des marques sur son visage, des ecchymoses sur ses jambes. C’est surtout mentalement qu’il l’a brisée. Aucune de nous ne ramenait Tom Cruise à la maison, mais il y a une époque où Kathy vivait vraiment dans la peur. Elle était sous son emprise.
J’ai commencé à voir où elle voulait en venir.
— C’est la raison pour laquelle elle a déménagé, n’est-ce pas ? ai-je dit.
J’ai entendu Merrill Shortley soupirer à l’autre bout du fil.
— Oui.
— Alors pourquoi continuait-elle à venir le voir depuis Seattle ? Vous avez dit que sa liaison avec lui a duré jusqu’à la fin.
— Mais je n’ai jamais dit que Kathy savait ce qui était bon pour elle, m’a répliqué Merrill Shortley.
Je voyais à présent l’existence de Kathy Kogut adopter la forme d’une tragédie inévitable. J’étais certaine qu’elle avait fui San Francisco, tenté d’échapper à la mainmise de cet homme. Sans réussir à s’en libérer.
Etait-ce vrai aussi des autres mariées assassinées ?
— J’ai besoin d’un nom, madame Shortley. Quel qu’il soit, il se pourrait bien qu’il ait tué votre amie. Il y a eu quatre autres victimes. Plus il demeure en liberté, plus il y a de chances qu’il recommence.
— Je vous l’ai déjà dit, inspecteur, je ne connais pas son nom.
J’ai élevé la voix pour me faire entendre dans le vacarme du terminal.
— Merrill, quelqu’un doit le connaître. Vous l’avez fréquentée plusieurs années, avez fait la fête ensemble.
Merrill a hésité.
— À sa façon, Kathy était loyale. Elle disait que son nom était très connu. Une espèce de célébrité. Quelqu’un que je connaissais. Elle le protégeait. Ou peut-être qu’elle se protégeait elle-même.
Mon esprit a fait rapidement la connexion avec les milieux du cinéma et de la musique. Elle avait de mauvaises fréquentations. Elle était dépassée par les événements et comme beaucoup de personnes qui se sentent piégées, elle s’est enfuie. Pas assez loin, malheureusement.
— Elle a dû vous confier quelque chose, l’ai-je pressée. Que faisait-il ? Où vivait-il ? Où se retrouvaient-ils ? Vous étiez comme deux sœurs.
Des méchantes sœurs ?
— Je vous le jure, inspecteur. Je me suis creusé la cervelle.
— Alors quelqu’un doit savoir. Qui ? Dites-le-moi.
J’ai entendu Merrill Shortley émettre un petit rire sans joie.
— Demandez à sa sœur.
Avant de monter dans l’avion, j’ai bipé McBride et laissé un message détaillé sur sa boîte vocale. L’amant de Kathy était probablement une célébrité. C’était la raison de son départ de San Francisco. Le profil collait avec le style de notre assassin. Sa sœur, Hillary, pouvait connaître le nom du tueur.
Une fois à bord, je n’ai pu penser qu’à une chose, à savoir qu’on touchait au but. Raleigh était là, à côté de moi. Pendant le décollage, je me suis appuyée à son bras, m’abandonnant totalement à mon épuisement.
Mes ennuis de santé me semblaient à des millions de kilomètres. Je me suis rappelé quelque chose que j’avais dit à Claire. Je lui avais dit que retrouver ce salopard me donnait la résolution pour aller de l’avant. Le Barbe Rousse de mon rêve qui m’avait échappé.
— On va le choper, ai-je dit à Raleigh. On ne peut pas le laisser tuer d’autres jeunes mariés.