22.

— Je t’ai attendue, ma douce, m’a dit Claire en me prenant le bras et en m’amenant à travers le labo jusqu’à une petite pièce où s’alignaient des produits chimiques. Deux microscopes étaient posés côte à côte sur un comptoir de granit.

— Charlie m’a fait part de ses découvertes, dit-elle. Le Champagne. Le pantalon. Tu le tiens, Lindsay.

— Si jamais tu fais un recoupement avec ça  – je lui ai tendu le sachet plastique  – on le fait entrer dans la chambre à gaz.

— OK, voyons voir, m’a-t-elle dit en souriant.

Elle a ouvert une enveloppe jaune sur laquelle on lisait « Priorité, Preuve », puis a sorti une boîte de Pétri identique à celle que j’avais vue après le second meurtre. « Sujet : Rebecca DeGeorge # 62340 » était inscrit dessus au marqueur.

À l’aide d’une pince à épiler, elle a déposé l’unique poil provenant de la seconde mariée sur une lame de verre. Puis elle l’a inséré sous le microscope. Elle s’est penchée, a réglé le point, puis, me prenant par surprise, m’a demandé :

— Alors comment va, ma petite ?

— Tu veux dire côté Negli ?

— Quoi d’autre ? m’a-t-elle rétorqué, l’œil collé au microscope.

Dans ma précipitation pour arrêter Jenks, c’était la première fois que j’y pensais depuis ces tout derniers jours.

— J’ai vu Medved à la fin de la semaine dernière. Mon taux de globules rouges est toujours à la baisse.

Claire a fini par relever les yeux.

— Désolée d’entendre ça, Lindsay.

Faisant mine d’avoir la pêche, je lui ai retracé mon régime. L’augmentation de la dose. La fréquence accrue des séances. Et j’ai fait allusion à la possibilité d’une greffe de moelle osseuse.

Elle m’a gratifiée d’un sourire éclatant.

— Va bien falloir un moyen de requinquer tes cellules sanguines.

Même dans le laboratoire, j’ai dû piquer un fard.

— Quoi ? s’est exclamée Claire. Qu’est-ce que tu me caches ? Qu’est-ce que tu essaies sans succès de me cacher ?

— Rien.

— Y a anguille sous roche. Entre toi et M. Chris Raleigh, je parie. Allez, c’est à moi que tu causes. Tu ne vas pas me servir le couplet du secret professionnel.

Je lui ai tout raconté. Du premier baiser au commissariat à l’ouragan de passion sur le tapis de l’entrée en passant par le trajet supplice de Tantale jusqu’à chez moi.

Claire m’a saisie aux épaules. Ses yeux brillaient autant d’excitation que les miens.

— Et alors ?

— Alors ?

J’ai éclaté de rire.

— Alors... c’était terrifiant. Et c’était... bien.

J’ai senti un doute glacé m’envahir.

— Je ne sais pas si je fais ce qu’il faut. Etant donné ce qui est en cours.

J’ai hésité avant de continuer.

— Je pourrais l’aimer, Claire. Peut-être que je l’aime déjà.

On s’est dévisagées. Il n’y avait plus grand-chose à dire.

— Bon, a fait Claire en retournant au microscope.

Voyons voir un peu ce que nous avons ici. Des poils de son p’tit menton ton-ton-tontaine-ton-ton.

Trois poils provenant du rasoir de Jenks étaient disposés sur une lame. Elle la glissa sous un second microscope, côte à côte avec l’autre.

Claire a jeté un coup d’œil la première, se penchant pour régler le point du nouvel appareil. Puis elle est passée de l’un à l’autre.

— Mm-hum, a-t-elle fait.

Je retenais ma respiration.

— Qu’est-ce que tu en penses ? ai-je demandé.

— À toi de dire.

Je me suis penchée. J’ai reconnu aussitôt le premier poil, celui retrouvé dans le vagin de Rebecca DeGeorge. Epais, roussâtre, un filament blanc entortillé à sa base comme un serpent lové.

Puis j’ai observé les poils du rasoir de Jenks. Il y en avait trois, plus courts, mais chacun avait cette même nuance roussâtre, ce même filament.

Je n’étais pas une spécialiste. Mais il n’y eut aucun doute dans mon esprit.

Les poils concordaient parfaitement.