115.
Le lendemain, à peine arrivé à Paris, Ari avait tenté, en vain, de joindre Marie Lynch. Depuis son dernier appel en Équateur, il n'avait plus eu de nouvelles de la jeune femme et il commençait à s'inquiéter.
Le visage encore marqué, le bras bandé, Mackenzie sortit d'un pas rapide de l'immeuble de la jeune femme. Se demandant si elle ne refusait pas tout bonnement de répondre au téléphone, il était allé directement chez elle et, comme personne n'avait répondu quand il avait frappé à la porte, paniqué, il était entré par effraction, pour trouver l'appartement vide. Il restait toutefois un espoir : chez Charles Lynch, le père de la jeune femme, quelques rues plus loin.
Tout en pressant le pas sur les trottoirs parisiens inondés de soleil, Ari ne pouvait s'empêcher de penser à tout ce qu'il avait vécu pendant ces derniers mois. Il avait du mal à croire que tout était fini.
Comme il n'avait toujours pas réintégré la DCRI et qu'il se moquait éperdument de tirer la couverture à lui, il avait laissé l'agent du SitCen récupérer l'affaire. Au fond, il était plutôt content d'échapper aux interminables rapports et multiples auditions auxquels le Belge allait devoir se soumettre.
Les choses, d'ailleurs, allaient plus vite que prévu. Quelques heures à peine après l'interpellation du SGA, le ministre de l'Intérieur français avait été arrêté à son domicile, sur le point de s'enfuir lui aussi. Pour Ari, c'était presque le plus important. Certes, le Docteur était un dangereux criminel et un illuminé, mais Ari se demandait si le SGA et le ministre n'étaient pas, finalement, des êtres plus nocifs encore, parce que cachés derrière les institutions et abusant de la confiance qui leur avait été accordée par des nations entières.
Une chose était sûre, la rancœur qu'il conservait depuis des années à l'égard du ministre français était enfin apaisée, et il en retirait une satisfaction toute particulière. Pour une fois, il avait l'impression d'avoir la justice de son côté.
Quant à Roberts, nul doute qu'il allait passer l'essentiel du reste de sa vie derrière les barreaux.
Enfin, la dissolution de l'INF avait été prononcée quelques heures à peine après la médiatisation du scandale. Les conséquences médiatiques sur l'image des associations humanitaires seraient catastrophiques. Cela permettrait sans doute de faire un peu le ménage.
Bien sûr, il resterait de nombreuses questions et zones d'ombre. Tous les complices de Weldon seraient-ils identifiés et arrêtés ? L'homme avait bénéficié de multiples soutiens obscurs et la liste exacte ne serait sans doute jamais établie. À qui les territoires annexés par l'INF reviendraient-ils ? Existait-il réellement, comme l'avait supposé les membres de la Summa Perfectionis, des réserves conséquentes du mystérieux cristal de Rubedo ? Et dans ce cas, quel impact leur découverte aurait-elle sur l'avenir géopolitique de la planète ? Ou bien l'échantillon que Weldon avait eu en sa possession était-il unique ? L'hypothèse d'un débris venu d'une météorite, évoquée par Erik Levin, avait en tout cas la préférence de ce cartésien de Mackenzie.
Quant aux conditions étranges de la mort du Docteur, il y avait peu de chances qu'elles trouvent une explication officielle. Les diaboliques y verraient une nouvelle preuve du phénomène de combustion spontanée ou de toute autre baliverne du même acabit, qui ne ferait qu'augmenter la légende au sujet de cet auguste illuminé. Un scientifique aurait émis d'autres suppositions, suggéré une justification rationnelle en rapport avec les propriétés photovoltaïques du cristal, lequel aurait entraîné l'explosion de l'hydrogène contenu dans les cellules humaines… Ou quelque chose comme ça, pensa Mackenzie.
Ces questions, en réalité, ne l'intéressaient plus vraiment. À cet instant précis, une seule chose le préoccupait : retrouver Marie Lynch. La jeune femme devait être en état de choc. Entre sa grave maladie, le meurtre de son père à l'autre bout du monde et la façon dont elle avait été manipulée par le SitCen, il se demandait comment l'actrice s'en sortirait. Sans compter qu'il se sentait partiellement responsable.
Arrivé en bas de l'immeuble, il rassembla son courage. Il n'était pas certain de ce qu'il allait lui dire. Devraient-ils rester en contact ? La jeune femme avait probablement besoin de changer de vie, de repartir à zéro. Si les moments qu'ils avaient partagés étaient bien sincères, leur relation, toutefois, n'avait pas vraiment d'avenir… Mais il ne pouvait pas disparaître comme ça, sans lui témoigner au moins un peu de compassion, et même de gratitude. Après tout, c'était son dernier coup de fil qui avait permis de retrouver Weldon.
Ari gravit les étages en grimaçant, le corps encore meurtri par ses nombreuses blessures, puis il sonna à la porte de l'appartement de Charles Lynch.
Aucune réponse. Il sonna une deuxième fois. Toujours rien. Il éprouva alors un mauvais pressentiment. Après avoir vérifié que la cage d'escalier était vide, il décida d'enfoncer la porte. Ce n'était pas très discret, mais il n'était plus à ça près…
Au deuxième coup de pied, la vieille serrure céda. Ari pénétra prudemment dans l'entrée.
— Marie ? appela-t-il sans conviction.
Rien. Il se dirigea d'abord vers le salon, vide, puis vers le bureau. Toujours personne. Effleurant la bibliothèque du bout des doigts, il se remémora les moments qu'il avait passés ici avec la jeune femme pour effectuer des recherches sur l'ordinateur du géologue. C'était quelques jours plus tôt, seulement, mais cela lui semblait une éternité.
Il sortit du bureau et se dirigea vers la chambre. Tout était en ordre. Le lit était fait. Rien n'avait été dérangé. Marie n'était peut-être pas revenue ici depuis longtemps.
En retournant dans le couloir, il aperçut un rai de lumière sous la porte de la salle de bain. Sa gorge se noua d'un coup.
Fébrile, il se précipita vers la petite pièce et frappa doucement contre la paroi.
— Marie ? Tu es là ?
Du bout des doigts, il poussa le battant. La vision qu'il eut alors à travers l'ouverture lui fit un choc foudroyant. Pourtant, il s'y était attendu. Mais rien ne peut jamais vous préparer à ces cruelles vérités.
Étendue dans la baignoire, immobile, la peau déjà violacée, la jeune femme, nue, avait la tête penchée en arrière, les yeux rivés au plafond, et son poignet droit entaillé était maculé de rouge. Au sol, à côté d'elle, une bouteille de vodka, vide, était renversée au milieu d'une marre de sang.
Ari se laissa lentement glisser le long de la porte et, recroquevillé, se prit la tête entre les mains.
C'était le coup de trop. Le cataclysme qui achevait de l'anéantir. Et là, dans le silence et la blancheur morbide de cette petite salle de bain, il se mit à pleurer, pleurer si fort qu'il sut que ce n'était pas seulement pour Marie, mais pour tout le reste. Pour Paul Cazo, pour Lola, pour l'inanité d'une si longue enquête dont la résolution, au fond, ne lui apportait presque aucune satisfaction.
Le corps secoué de sanglots, il éprouva un violent sentiment de solitude et de vacuité, d'abandon. De vide. Il avait l'impression de ne plus pouvoir s'accrocher à quoi que ce fût, à qui que ce fût. Krysztov était à l'autre bout du monde, Iris auprès de son frère, la DCRI ne représentait plus rien pour lui, et Lola… Lola, il l'avait perdue depuis si longtemps !
Le dos collé contre la porte, les mains trempées de larme, il reconnut le goût saumâtre de la dépression, cette vieille compagne qui, sans doute, ne l'avait jamais vraiment quitté.
Les cathédrales du vide
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