67.
— Je te retrouve ce soir à l'hôtel.
Ari avait arrêté la MG-B en haut de la place de Clichy, en retrait du trafic, mais n'avait pas coupé le moteur. Quelques passants jetèrent des regards admiratifs au vieux cabriolet dont la carrosserie vert anglais scintillait avec la lumière du soleil d'été.
— Et pourquoi je ne viendrais pas avec toi ? répliqua Marie.
— Parce que je dois aller quelque part où je ne peux pas t'emmener.
— Ça m'agace quand tu fais ton agent secret ! s'exclama la jeune femme en se renfonçant dans le siège en cuir.
— En même temps… Il faut bien admettre que c'est un peu mon métier, répondit Ari avec un sourire désolé. Promis, je me dépêche.
— Je vais m'ennuyer, moi…
L'analyste se tourna vers la jeune femme, croisa les bras et fronça les sourcils d'un air pontifiant.
— Mais dis-moi : tu ne travailles jamais ? Je veux dire… Actrice au chômage, ça paye bien ?
Plutôt que de répondre, Marie déposa un baiser langoureux sur les lèvres de Mackenzie et sortit de la décapotable avec majesté.
Il resta abasourdi quelques secondes encore après le départ de la jeune femme. Il devait bien reconnaître qu'il y avait quelque chose de terriblement rafraîchissant qui se dégageait d'elle, et peut-être aussi dans cette situation. Il la regarda disparaître sur le trottoir, chaussa ses lunettes de soleil et se mit en route.
Il essaya de se concentrer sur ce qu'il avait à faire. Depuis sa conversation avec Iris, un sujet le tracassait : les documents de Mancel. Pour l'instant, persuadé que ces vieux papiers ne présentaient aucune valeur – et que le Docteur ne les cherchait que parce qu'il ignorait qu'ils étaient de simples titres de propriété – il avait négligé cette piste. Mais peut-être comportaient-ils quelque chose qui lui avait échappé ? Au fond, il n'avait jamais pris le temps de les étudier de près. Le goût pour le mystère dont Villard avait fait preuve dans ses carnets pouvait aussi bien se retrouver sur ces parchemins : peut-être renfermaient-ils une énigme cryptée… L'acharnement de Weldon pour les récupérer laissait supposer qu'il y avait dessus des informations précieuses, bien qu'Ari en doutât. Il était temps d'en avoir le cœur net.
Un quart d'heure plus tard, il pénétrait dans le parking de la gare de Lyon. Il gara son cabriolet près des ascenseurs, prit son sac à dos sur le plancher de la voiture, monta jusqu'au niveau 0 et rejoignit l'espace Méditerranée, dans la partie inférieure de la gare.
Il y avait foule, à cette heure. Les arrivants qui souriaient de leurs retrouvailles, couraient fumer dehors la cigarette qu'ils n'avaient pu allumer tout au long du voyage, les partants qui s'agglutinaient, confus, autour des panneaux d'affichage, râlaient en n'y trouvant pas le quai d'où partirait leur train, les retardataires courant à petits pas en tirant leurs valises à roulettes, les badauds flânant chez les marchands de journaux franchisés, les SDF, les yeux baissés, cherchant du bout des doigts nos générosités rares, les militaires patrouillant en tenue de camouflage et exhibant leurs fusils-mitrailleurs tout en traînant les boots, le regard aussi provocateur que celui des petites frappes qu'ils tentaient d'impressionner, sans doute. Ari, chemise ouverte, s'engouffra tête basse dans cette mer d'air sec et chaud. La salle des consignes venait immédiatement à droite, derrière un sas de sécurité surveillé par deux agents en uniforme.
Krysztov lui avait expliqué précisément où il avait caché l'attaché-case : au bout des rangées de consignes automatiques, casier no 83, code 1972. Facile à retenir : c'était l'année de la sortie de Machine Head, l'album que l'un et l'autre tenaient pour le meilleur de la discographie de Deep Purple.
Au début, Ari s'était étonné du choix de Zalewski. Une consigne SNCF, c'était désuet et peu sécurisé. Mais le Polonais l'avait convaincu que, au contraire, c'était la plus sûre des solutions, que les consignes modernes n'avaient plus rien à voir avec celles des vieux films noirs et qu'elles bénéficiaient presque de la même sécurité qu'un aéroport. À moins de connaître le code, ou d'utiliser des appareils high-tech indétectables, il n'y avait aucun moyen d'ouvrir les casiers. Provisoirement en tout cas, l'endroit avait l'avantage de n'être lié à aucun d'entre eux.
Arrivé devant l'entrée, Ari déposa son sac à dos sur le tapis roulant et passa le portique de sécurité sous le regard blasé des deux gardiens. Il longea le mur où s'alignaient les portes blanches métalliques. Quand il trouva la consigne no 83, il jeta un coup d'œil autour de lui pour vérifier qu'on ne l'espionnait pas. Personne dans la salle. Il entra les quatre chiffres sur le clavier. La serrure se désarma dans un cliquetis aigu.
Mackenzie ouvrit le coffre. La lumière se glissa à l'intérieur. Il écarquilla les yeux. Le casier était vide.
Les cathédrales du vide
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