98.
La nature, ici, offrait un spectacle insolite.
Encadré par deux hautes falaises abruptes, un lac se nichait au
cœur de la jungle, tel un immense puits, un cirque oublié dans la
luxuriance des arbres. Au-dessus de l'étendue d'eau, qui prenait de
magnifiques teintes d'émeraude, un vieux pont de cordes reliait les
deux parois. Et dans la pierre, taillé à même le roc, un escalier
menait vers cette alcôve circulaire.
Ils avaient dû abandonner les véhicules en haut et
avaient descendu tout le matériel nécessaire pour établir un
campement sur la rive ouest du lac, à l'abri des regards.
— Nous n'aurions jamais dû rester ici. Je
n'aime pas cet endroit.
— Je ne vous retiens pas, Mark.
L'Anglais haussa les yeux au ciel. Il supportait de
plus en plus mal la condescendance du Docteur, ses airs supérieurs,
ses grands mystères… Roberts ne se sentait pas à sa place entre le
prisonnier aux poings liés et ce que les gardes étaient en train de
faire à une centaine de mètres de là, près du lac. Le sale boulot,
il n'aimait pas y assister. Sa spécialité, c'était les finances.
Pas les armes.
Roberts prenait garde à ne jamais regarder dans
cette direction. Il préférait ne pas voir. Il aurait même aimé ne
pas vraiment savoir.
— A-t-on vraiment besoin de ces maudits
documents ?
Un sourire s'esquissa sur le visage de
Weldon.
— C'est donc ça qui vous retient, railla-t-il.
Vous aimeriez savoir, n'est-ce pas ? Sinon vous m'auriez fait
faux bond depuis longtemps.
— Répondez, Weldon. Qu'y a-t-il sur les
documents que possède Michotte ?
— Une information précieuse, Mark. Une
information très précieuse pour vous, mais aussi pour moi.
— Vous ne voudriez pas me faire une réponse
plus précise, Weldon ? Je ne crois pas que ce soit le meilleur
moment pour un schisme, et l'envie de prendre le large me titille
de plus en plus.
Roberts savait que Weldon avait besoin de lui et
qu'il ne prendrait pas la menace d'un départ à la légère. C'était
l'Anglais qui tenait réellement le conseil d'administration de
l'INF et, surtout, qui disposait de la fortune colossale de son
père. Roberts Ltd était un empire financier et foncier dont Weldon
ne pouvait pas se priver.
— La septième page, Mark. Ce que nous
cherchons, c'est la septième page.
— Quelle septième page ?
— Celle de la perfection, celle de la
maîtrise. Le septième jour, la création fut achevée. Ne voyez-vous
pas le symbole évident que nous adresse Villard ? C'est le
nombre de la Vie Intérieure, celui des chakras, celui des astres
comme des archanges.
— Épargnez-moi vos balivernes d'occultiste.
Qu'y a-t-il sur cette septième page ?
— Chacun sa sensibilité. Moi, je vous parle de
gnose, de spiritualité… et vous, vous me parlez d'intérêts
financiers. Nous ne cherchons pas la même chose, Mark, c'est pour
cela que je vous disais tout à l'heure qu'il s'agissait d'une
information très précieuse pour vous comme pour moi. Vous savez
bien que, dans mon état, l'argent n'a plus d'importance. Ce n'est
pas d'or dont j'ai besoin.
— L'argent que vous me réclamez pour mener à
bien votre projet n'a rien de spirituel, Weldon. Ne me prenez pas
pour un imbécile. Qu'y a-t-il de concret sur cette
page ?
— Le gisement originel, Mark. Un lieu où le
cristal se trouve dans des proportions… astronomiques. Pour vous,
il sera synonyme de fortune sonnante et trébuchante. Pour moi, il
s'agira de trouver l'outil de ma renaissance.
— Vraiment ?
— Un homme comme moi, qui a traversé les âges,
n'a que faire des choses matérielles…
— Alors finissons-en une bonne fois pour
toutes, lâcha l'Anglais dans un soupir.
Il fit volte-face et retourna s'abriter. L'attente
serait longue avant l'échange, et il éprouvait le besoin de
s'isoler, comme si cela avait pu laver sa conscience de tout ce qui
l'accablait déjà.
Derrière le rideau des arbres, à quelques mètres de
là, les gardes jetaient dans le lac des cadavres lestés de pierres.
Les corps des dix derniers scientifiques et de leurs familles,
qu'ils avaient exécutés un par un, d'une balle dans la nuque.