75.
Caroline était assise, la tête de son mari assoupi posée sur ses cuisses, à se demander combien de temps il faudrait attendre avant qu'il puisse marcher, quand elle crut entendre au loin un bruit sourd.
Elle se redressa, intriguée, et tendit l'oreille. Le bruit, comme un bourdonnement grave d'insecte, semblait se rapprocher. Délicatement, elle se dégagea et posa la tête d'Erik sur l'oreiller de fortune qu'elle avait fabriqué. Elle se leva et, sur la pointe des pieds, scruta la jungle vers le nord. Elle fut bientôt certaine qu'il s'agissait d'un moteur.
Son cœur se mit à battre plus fort.
Un véhicule approchait. Elle fut aussitôt prise de panique. Que faire ? Courir dans sa direction et appeler au secours ? Et si c'était les gardes de Weldon, lancés sur leurs traces ?
Elle jeta un coup d'œil en direction d'Erik. Il était profondément endormi. Elle n'avait pas le cœur de le réveiller. De toute façon, malgré l'attelle qu'elle lui avait fabriquée à l'aide de branches, il aurait été incapable de marcher. Il avait perdu beaucoup de sang et avait besoin de repos. Mais il avait surtout besoin de soins urgents.
Elle décida alors de tenter le tout pour le tout. S'ils restaient ici, leurs chances de s'en sortir seraient plus faibles encore.
Elle se pencha au-dessus d'Erik et lui caressa le front.
— Je reviens, murmura-t-elle comme s'il avait pu l'entendre.
Puis elle l'abandonna derrière elle et partit en courant en direction du bruit.
Avec une énergie inattendue, elle se faufila entre les arbres, enjamba les obstacles en essayant de suivre une droite pour couper la trajectoire probable du véhicule. À en juger par la progression du bruit, il était au nord et se dirigeait vers l'ouest. Il fallait donc qu'elle tente de le rejoindre sur sa gauche, en espérant qu'elle arriverait sur sa route avant qu'il ne soit passé. Les branches lui fouettaient le visage et le souffle commençait à lui manquer. Mais elle ne devait pas ralentir. Elle ne pouvait pas laisser passer sa chance. Leur chance. Elle maintint le rythme effréné de sa course, espérant seulement qu'elle saurait ensuite retrouver son chemin jusqu'à son époux.
Il lui sembla tout à coup que le bruit du moteur s'éloignait. Elle hurla. Sa gorge la brûlait. Mais elle hurla encore, des mots indistincts, un simple appel à l'aide. Soudain, son pied se prit dans une racine et elle bascula en avant.
Caroline eut le réflexe de se protéger le visage et s'écroula lourdement au milieu des plantes. Emportée par son élan, elle roula plusieurs fois sur le côté, arrachant herbes et branchages sur son passage, avant de s'immobiliser au pied d'un immense tronc.
Étendue sur le dos, perplexe, elle ouvrit les yeux et fixa un petit morceau de ciel bleu entre les cimes géantes des arbres.
Relève-toi. Relève-toi tout de suite.
Elle avala sa salive, inspira profondément et se remit péniblement debout. Son cœur battait à tout rompre, sa poitrine était en feu, son souffle court, malaisé, tous ses muscles lui faisaient mal, et pourtant elle reprit sa course sans attendre. Maladroitement, d'abord, jusqu'à ce qu'elle reprenne courage en entendant le moteur à nouveau. Elle fonça droit vers ce bruit qui était tout autant plein de promesses que de menaces, et ses bras battaient l'air comme ceux d'une athlète luttant contre la montre.
Soudain, entre les branches d'arbres, elle aperçut un bout de carrosserie vert kaki. Une jeep. Elle ralentit légèrement et vit, à quelques mètres à peine, un sentier qui passait au cœur de la jungle. C'était sans aucun doute la route que suivait le chauffeur. Elle devait l'atteindre et arrêter le véhicule.
Elle franchit les derniers mètres, sauta par-dessus une souche et se jeta sur le chemin de terre en écartant les bras. La jeep était si proche qu'elle faillit l'écraser. Les roues se bloquèrent et glissèrent avec fracas sur les cailloux. L'arrière chassa sur le côté, entraînant tout le véhicule vers l'extérieur du chemin dans un nuage de poussière.
Caroline, voyant cette masse de tôle qui glissait vers elle ferma les yeux, terrorisée. Soudain, le bruit cessa. Elle rouvrit les paupières.
La jeep était immobilisée à deux pas à peine.
C'était un vieux 4x4 militaire à la carrosserie défoncée et maculée de boue. Avec ses vitres teintées, impossible de voir à l'intérieur.
Caroline serra les mâchoires et attendit. Le sang battait dans ses tempes et des gouttes de sueur serpentaient sur son front, son cou, sa poitrine.
Soudain, la porte passager de la jeep s'ouvrit.
Les cathédrales du vide
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