64.
Willy Vlaeminck, l'agent du SitCen, attendait nerveusement dans un bureau inoccupé du bâtiment Justus-Lipsius, où le SGA avait fixé le rendez-vous. Comme toujours, l'élu européen était en retard ; c'était sa façon à lui de montrer que son emploi du temps était plus important. Il arriva toutefois au bout d'un quart d'heure, plus rapidement que d'ordinaire, sans doute parce qu'il avait compris que ce que l'agent avait à lui apprendre était urgent.
Il entra sans frapper et s'assit à la longue table de réunion sans prendre le temps d'enlever son manteau.
— Je vous écoute, dit-il sans préambule, d'une voix autoritaire.
— Mackenzie a établi un lien entre l'affaire de Villard et les centres de la Summa Perfectionis.
— Quels centres ?
— Cinq centres de recherche que le Docteur a installés de par le monde, sur des territoires achetés par l'INF.
— Où ?
— En Amazonie équatorienne, en Inde, au Pôle Nord, en Mongolie et en Californie.
— Comment se fait-il que personne ne m'ait jamais parlé de ces centres ?
L'agent belge eut un rictus embarrassé. Cela faisait plusieurs jours que ses collègues et lui cherchaient les failles dans les activités de Weldon et ils avaient pensé à tout sauf à cette organisation humanitaire, persuadés que le Docteur n'en faisait partie que pour redorer son image.
— Eh bien… Nous connaissions l'existence de ces centres, mais n'imaginions pas jusque-là qu'ils avaient un lien avec notre affaire.
Le masque du SGA trahit son irritation.
— Vous aviez donc tort. Pensez-vous que Weldon pourrait y chercher ce qu'il a trouvé à Paris ?
— C'est probable.
— Il se servirait de l'INF comme d'une couverture ?
— Oui. Le système est parfait. L'INF fait l'acquisition de zones immenses sous prétexte de préservation de la nature puis, comme ces espaces sont devenus privés et échappent aux autorités locales, elle y revend des concessions à des fins de prospection géologique, en toute impunité. Par exemple, l'INF, bien qu'elle s'en défende, a sûrement joué un rôle dans les scandales liés à l'extraction du Coltan en République Démocratique du Congo. Il ne serait donc pas étonnant que son propre département de recherche effectue des fouilles sur ces territoires…
— Oui. Cela paraît évident. Je me demande pourquoi vous n'y avez pas pensé plus tôt. Se peut-il qu'il ait déjà trouvé ?
Devon haussa les épaules.
— Nous l'ignorons.
— Bref, vous ne savez rien. Encore une fois, Mackenzie est beaucoup plus avancé que vous.
— Sauf votre respect, c'est le plan que vous avez voulu mettre en place depuis le départ, monsieur le Secrétaire général adjoint. Nous avons sciemment mis Mackenzie sur la piste pour voir où il nous menait. Je ne me suis jamais caché des réserves que j'avais.
— Oui. Mais en quelques jours, grâce à mon plan, Mackenzie a réussi à mettre le doigt sur ce que vous n'avez pas été fichus de trouver en plusieurs semaines. Les dysfonctionnements du SitCen ne cessent de me sidérer. Alors ? Que comptez-vous faire, maintenant ? Pouvez-vous envoyer des gens sur place ?
— Envoyer des hommes dans les cinq centres d'un coup, c'est strictement impossible. Nous n'avons toujours pas la logistique suffisante…
Le SGA fit mine de ne pas relever, mais il savait pertinemment ce que l'agent belge sous-entendait. Les promesses d'augmentation du budget des services secrets européens tardaient à se traduire dans les faits. Et à dire vrai, le SitCen n'avait pas, à ce jour, les moyens suffisants pour mener à bien cette opération. Pourtant, il aurait été dommage de laisser qui que ce soit d'autre prendre le contrôle de l'affaire. Les enjeux étaient beaucoup trop importants.
— Et Mackenzie ? Il fait quoi ?
— Il semble persuadé que Weldon se trouve dans l'un de ces centres et il va chercher lequel. On peut supposer qu'il a l'intention de s'y rendre ensuite.
— Nous devons y être avant lui.
L'agent hocha la tête.
— Sommes-nous toujours les seuls sur l'affaire ? demanda le SGA en se levant.
— A priori, oui. Mais si nous allons en Californie ou en Mongolie, nous devrons prendre garde à ne pas éveiller les soupçons de la CIA ou du Gonganbu[1].
Le dignitaire européen, debout devant la table de réunion, marqua une pause, le regard dans le vide. Vlaeminck n'osa pas rompre le silence.
— Un jour ou l'autre il nous faudra envisager de prendre des alliés. Plutôt que de risquer de perdre le contrôle, peut-être devrons-nous le partager avec d'autres services.
— Si l'Europe le voulait, répondit Vlaeminck, elle pourrait se donner les moyens de régler le problème seule. Il y a toutes les chances que nous soyons à l'aube d'un tournant capital dans l'avenir des relations internationales. Il serait dommage de ne pas se trouver du bon côté de ce tournant.
— Alors débrouillez-vous pour trouver Weldon rapidement, répliqua le SGA. Ne lâchez pas Mackenzie. Nous devons le laisser nous guider le plus longtemps possible. Nous l'arrêterons au dernier moment.
Il sortit de la pièce sans ajouter un mot.
L'agent belge resta quelques minutes seul à l'intérieur. Plus le temps passait, plus il se sentait en désaccord avec le SGA et cela n'augurait rien de bon pour la fin de cette affaire.
1-
Ministère de la Sécurité de l'État chinois, comprenant un département de services secrets.
Les cathédrales du vide
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