50.
La légende raconte qu'il me fallut près de trente
ans pour saisir le sens hermétique de ce manuscrit que j'obtins en
1358. C'est évidemment faux. Néanmoins, je dois admettre que je dus
l'étudier pendant plusieurs mois afin d'en retirer quelque
intelligence…
L'ouvrage que le jeune Gautier m'avait offert était
composé de quarante-quatre feuilles de parchemins, soit
quatre-vingt-huit pages, cousues dans une reliure de cuir marron de
piètre facture, même pour cette époque. Les feuilles étaient elles
aussi de qualité médiocre et elles n'étaient pas toutes coupées aux
mêmes dimensions. L'auteur, très certainement, ne les avait pas
acquises en même temps et le manuscrit regroupait probablement des
textes écrits à plusieurs années d'écart.
Je comptai plus de deux cent cinquante dessins et
schémas ainsi que de nombreux textes pour les accompagner. Ces
écrits, à la calligraphie ordinaire, étaient en langue picarde.
Ainsi, n'ayant trouvé aucune information à son sujet, je déduisis
du nom et de la langue de l'auteur qu'il était originaire du
village de Honnecourt-sur-Escaut, en Picardie.
Les dessins avaient été tracés, semblait-il, lors
des voyages de Villard à travers l'Europe. Édifices architecturaux,
figures géométriques, personnages mythiques, scènes religieuses ou
schémas d'ingénierie le disputaient aux croquis symboliques et
ésotériques.
Le manuscrit dont j'avais hérité était donc, à
première vue, un carnet de voyage tenu par un bâtisseur itinérant.
Mais, à y regarder de plus près, on constatait rapidement que s'y
cachait bien plus que cela. Je vis bientôt que les carnets de
Villard de Honnecourt étaient en réalité le gardien muet d'un
trésor incroyable…