27.
— Vous préférez qu'on s'installe à l'intérieur ou en terrasse ? demanda Ari alors qu'ils s'étaient arrêtés devant une grande brasserie sur le boulevard.
— Plutôt dehors. Je fume…
Mackenzie accueillit la nouvelle avec soulagement.
— Parfait. Moi aussi, dit-il en lui tendant une chaise.
Marie Lynch s'était remise du choc qu'elle venait d'endurer. Se faire menacer avec un revolver et plaquer brutalement contre un mur n'était sans doute pas la meilleure façon de rencontrer quelqu'un, mais au moins était-elle prévenue : Mackenzie n'était pas un homme comme les autres.
Progressivement, en quittant la rue Montmorency, l'expression sur le visage de la jeune femme s'était modifiée. L'effroi avait fait place à une rancœur grandissante. Elle semblait s'en vouloir d'avoir eu si peur et, surtout, en vouloir à Mackenzie de l'avoir agressée.
— Vous enquêtez sur Weldon ? interrogea-t-elle dès qu'elle fut assise.
— Plus ou moins.
— Vous êtes à la PJ ?
— Non.
— Vous travaillez dans quel service ? insista-t-elle.
— Un autre.
Elle leva les yeux au ciel.
— Je me doute… Mais lequel ?
Mackenzie sortit son paquet de Chesterfield, en offrit une à la jeune femme et en coinça une autre au coin de sa bouche.
— Racontez-moi ce qui s'est passé avec votre père, dit-il en guise de réponse.
Marie Lynch posa un coude sur la table, tira une longue bouffée sur sa cigarette et recracha la fumée en posant son menton sur son poing. Elle dévisagea son interlocuteur avec, dans le regard, une lueur qui ressemblait à du défi.
— Si vous n'êtes pas à la PJ, je ne vois pas pourquoi je devrais vous raconter quoi que ce soit. Vous avez un mandat ou quelque chose ?
Ari sourit.
— Un mandat ? Vous vous croyez dans un film américain ?
— Qu'est-ce qui me prouve que vous enquêtez bien sur la même affaire ?
— Rien. Mais qu'est-ce que ça peut vous faire ? rétorqua Ari d'un air amusé. Un flic s'intéresse à la disparition de votre père, vous devriez être contente.
La jeune femme ne sut que répondre.
— Vous êtes aimable comme une porte de prison, dit-elle finalement en se renfonçant dans son siège. Vous m'avez vraiment fait mal au bras.
— Estimez-vous heureuse, j'aurais pu être du genre nerveux et vous coller une balle entre les deux yeux. Vous n'aviez rien à faire là. Bon, vous me racontez l'histoire de votre père, oui ou non ?
— Et pourquoi le ferais-je ?
— Parce que vous n'avez pas envie que je vous embarque au poste pour violation de propriété privée.
— Vous ne feriez pas ça.
— Tentez le coup, pour voir…
Elle secoua la tête. Elle semblait se demander si Ari était sérieux ou non. Sans doute jugea-t-elle que cela ne valait pas la peine de chercher à savoir.
— Tout ce que je peux vous dire, c'est qu'il a disparu il y a un peu plus de deux mois. Nous avions des relations un peu tendues, ces derniers temps, alors je me suis d'abord dit qu'il avait pris des vacances sans me prévenir. Ce ne serait pas son genre, mais après tout… pourquoi pas ? Et puis au bout d'un moment, j'ai commencé à m'inquiéter.
— Bien sûr.
— Je suis allée chez lui, tout avait l'air normal. Visiblement, il avait juste fait sa valise et pris beaucoup d'affaires. Mais pour aller où ? Et pourquoi n'a-t-il prévenu personne ? J'ai fini par alerter vos collègues.
— Ça n'explique pas pourquoi vous êtes venue ici ce soir.
— Je vous l'ai dit : parce que la Police n'a pas l'air d'avancer. Alors ce matin, j'ai décidé de chercher par moi-même. J'ai fouillé son ordinateur et j'ai vu sur son agenda qu'il avait noté un rendez-vous avec un certain Weldon, le jour de sa disparition. Or, dans son carnet d'adresses, le nom de Weldon apparaissait avec pour seule indication ce numéro de rue. Je suis venue dans l'espoir de le rencontrer, pour lui demander s'il savait où est mon père. Au lieu de ça, je suis tombé sur vous, et vous avez failli me péter le bras. Normal, quoi…
— Vous n'aviez jamais entendu parler de Weldon avant ?
— Non, jamais.
— Votre père est marié ?
— Ma mère est morte quand j'avais douze ans.
Ari ne put s'empêcher de faire le parallèle avec sa propre histoire. Il essaya de ne pas le laisser transparaître dans son regard.
— Et vous êtes fille unique ?
— Oui.
— Bref, vous êtes la seule famille qu'il lui reste ?
— Oui.
— Qu'est-ce qu'il fait, dans la vie, votre père ?
— Retraité.
— Retraité de quoi ?
— Il était géologue. Mais ne me demandez pas de détails, je n'ai jamais compris grand-chose à son métier.
— Et vous ? Qu'est-ce que vous faites ?
— Je suis actrice, dit-elle en tirant une nouvelle bouffée sur sa cigarette.
— Ah oui ? Pour le cinéma ? La télévision ?
La jeune femme parut légèrement contrariée par la question.
— Oui.
— Il y a des chances que je vous aie vue dans un film ?
— Non.
— Et pourquoi ?
— Pour le moment, je n'ai tourné que dans des courts-métrages.
Ari acquiesça avec un sourire quelque peu condescendant.
— Je suis certain que vous finirez par percer, dit-il.
Marie Lynch fit un geste d'agacement.
— Oui, oui, c'est ça… On se passera des banalités du genre, dit-elle.
Au même instant, le serveur vint prendre leur commande.
— Qu'est-ce que vous buvez ? demanda Mackenzie.
— C'est vous qui offrez ?
— Je vous l'ai promis toute à l'heure.
— Alors un whisky, demanda la jeune femme.
— Vous aimez le whisky ? s'étonna l'analyste.
— Pourquoi ? Ça vous choque qu'une femme aime le whisky ?
— Au contraire, ça m'enchante, répondit-il en souriant. Alors deux single malt, sans glace.
Le serveur hocha la tête et disparut à l'intérieur du bar.
— Votre père vous avait-il dit avoir des ennuis ces derniers temps ?
— Pas que je sache. Son seul drame, c'était d'avoir une fille actrice.
— Il y a pire.
— Oui. J'aurais pu être flic.
— Sans trop de difficultés.
— Je ne sais pas comment je dois le prendre.
— J'ai beaucoup d'estime pour mes collègues, affirma Mackenzie tout sourire.
— C'est ça…
— À votre avis, quels étaient les liens de votre père avec Weldon ? Privés ? Professionnels ? Amicaux ?
— J'en sais rien, vraiment. Pas la moindre idée.
Ari hocha lentement la tête. Le serveur apporta leurs verres de whisky.
— Votre père s'intéresse-t-il à l'hermétisme ?
— À l'hermétisme ? répéta-t-elle, perplexe.
— Oui. À l'alchimie, l'ésotérisme, le mysticisme, ce genre de trucs…
— Pas à ma connaissance, non. Pourquoi ?
— Et avant de prendre sa retraite de géologue, pour quelle société travaillait-il ?
— Il ne travaillait pas pour une société. Il avait un poste à l'école doctorale de l'université Pierre et Marie Curie.
— Il enseignait ?
— Très peu. Je crois qu'il était surtout chercheur. Mais je vous l'ai dit, je ne sais pas grand-chose à ce sujet.
— Vous ne savez grand-chose au sujet de rien…
— Allez vous faire foutre, répliqua la jeune femme un peu rapidement.
Elle se mordit les lèvres en se rendant compte qu'elle venait d'insulter un agent des forces de l'ordre, mais elle conserva dans le regard une sorte de colère et de fierté.
Ari, lui, ne put d'abord masquer son étonnement, puis il éclata de rire. La jeune femme commençait à lui plaire.
— Jamais pendant le service.
Il leva son verre de whisky.
— À la vôtre !
Marie hésita un instant, puis trinqua avec lui.
— Vous ne voulez toujours pas me dire pour quel département vous travaillez, à la Police ? demanda-t-elle après avoir bu une gorgée.
— Les renseignements.
Elle eut une mimique moqueuse.
— Ah d'accord… Je comprends mieux.
— Je suis désolé si je vous ai un peu brusquée.
— Si peu…
— Vous allez me laisser vos coordonnées au cas où j'aurais d'autres questions à vous poser.
— C'est pratique, flic, pour choper les numéros des filles, n'est-ce pas ?
— Il faut bien des compensations…
Elle finit par sourire et écrivit son numéro sur un coin de nappe.
— Vous m'appellerez aussi si vous avez du neuf sur mon père ?
— Bien sûr.
— Mouais.
Elle reposa son verre de whisky d'un air sceptique, puis elle éteignit nerveusement sa cigarette dans le cendrier.
— À l'avenir, évitez de jouer les justicières et de mener une enquête par vous-même… Vous ne savez pas sur qui vous pouvez tomber.
— Un flic par exemple.
— Croyez-moi, ça aurait pu être pire.
Elle acquiesça lentement.
— Vous ne m'avez pas dit votre nom.
— Si. Je vous l'ai dit tout à l'heure quand je vous ai montré ma carte.
— J'ai pas eu le temps de regarder.
— Ari Mackenzie.
— Enchantée.
Elle finit son verre et se redressa sur son siège.
— Je dois vous laisser. J'ai un casting dans une heure. Il faut que j'aille me préparer.
Ari se leva après elle et lui tendit la main.
— Entendu. Bon courage, dit-il en la saluant.
Elle le remercia et s'en alla d'un pas rapide. Mackenzie la regarda s'éloigner dans son jean taille basse, avec son t-shirt noir minuscule qui laissait apparaître le bas de son dos.
Si elle se retourne…
Mais elle ne se retourna pas.
Les cathédrales du vide
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