35.
— Nous vous avions prévenu que la disparition
de Lynch risquait de faire tâche d'huile…
Après le départ de l'ingénieur, une ambiance
presque dramatique s'était installée dans le bureau calfeutré de
Weldon. Les quatre hommes le regardaient avec inquiétude.
— La situation est sous contrôle, répliqua le
Docteur d'une voix qui se voulait rassurante. Cela n'ira pas plus
loin. La méfiance d'Erik Levin est naturelle, elle est la preuve de
son esprit critique. Au fond, je m'en réjouis.
— Il ne faudrait pas qu'il propage une
atmosphère suspicieuse au sein de l'équipe scientifique.
— Cela n'arrivera pas. Je vais faire en sorte
de limiter ses contacts avec le reste de la communauté.
— Ce serait préférable.
Le Docteur sortit un carnet sur lequel il griffonna
quelques notes.
— Pour en revenir au sujet qui nous a réunis
ici, reprit-il après un court silence, je suis curieux de savoir ce
que certains auront à dire de nos dernières découvertes… Je suis
tenu à un inviolable isolement, mais je compte sur vous pour venir
me rapporter ce qu'il se dit dans le milieu, n'est-ce pas ?
Comment va réagir le professeur Walberg à Bern, par exemple ?
Nos amis de Bavière ? Nul doute que certains tenteront de
jeter le discrédit sur notre projet.
— Incontestablement.
— J'aimerais savoir qui. Non pas que cela ait
une réelle importance. La plupart d'entre eux sont des charlatans
sans influence. Mais tout de même, j'aimerais savoir.
— Nous vous tiendrons au courant, c'est
promis.
— Il est important pour nous de connaître nos
ennemis. Nous allons bientôt avoir besoin de relais. J'ai le
sentiment que les politiques sont en train de nous lâcher. Face à
l'adversité, ils n'ont pas le courage de nous suivre. Nous devons
commencer à tâter le terrain pour voir sur qui nous pouvons
compter. Sondez un peu vos contacts à droite et à gauche, en
restant les plus discrets possible, évidemment. Voyez d'abord parmi
nos correspondants scientifiques à l'Académie des Sciences, la
Deutsche Akademie, l'Accademia del Cimento et l'Académie Royale de
Belgique.
— Nous avons aussi un contact au sein de
l'International Society for Philosophical Enquiry.
— Parfait. Faites ensuite le tour des sociétés
d'affaires qui nous sont les plus favorables : le CFR, le
Bilderberg, la Trilaterale, le Bohemian, le Club de Rome et bien
sûr la Blue Anthill. Puis, plus proches
de nous, il faudra compter sur la Stella
Matutina, la Société Théosophique et, évidemment, nos amis
du College…
— Tout cela est prévu et nous avons déjà
commencé. La parole circule, si je puis dire. Vous ne voulez pas
que nous nous adressions à nos contacts francs-maçons des ateliers
supérieurs ?
Weldon haussa les épaules.
— Cela fait longtemps que les maçons sont hors
du coup, mon ami. À force de vouloir jouer sur les deux tableaux,
ils ont tout perdu : ils n'ont plus la moindre crédibilité
tant dans les milieux politiques que dans les milieux ésotériques.
Ça n'aura pas été faute de les avoir prévenus… Non, laissons les
maçons à leurs rêveries humanistes.
Aucun n'osa le contredire.
— Pour ce qui est des autres groupes, plus
spécialisés, je me charge naturellement de l'INF et de Mensa.
Ils approuvèrent d'un hochement de tête.
— Bien. J'ai entendu dire que plusieurs cadres
du Vril sont en train de constituer un nouveau groupe après son
fâcheux démantèlement. De quel côté vont-ils se situer ?
Avons-nous une chance de les décider à entrer dans une réelle
démarche scientifique ? Maintenant que nous sommes débarrassés
de Khron, il pourrait être intéressant de récupérer les ressources
colossales dont jouissait son groupe ?
— Je suis en train d'y veiller, affirma l'un
de ses partenaires.
— Parfait. Je ne vais pas vous retenir plus
longtemps. Vous avez un long trajet à effectuer pour retourner en
Europe. Vous savez ce qui vous reste à faire. Je veux que le milieu
tout entier sache que la Summa
Perfectionis est entrée dans sa phase finale et qu'elle est
sur le point de découvrir le Secretum
Secretorum. Étant donné vos diverses positions, à tous les
niveaux de ce maillage compliqué, je sais que vous serez écoutés et
entendus. Mes amis, que la monade nous protège !