57.
Mackenzie et Marie Lynch sortirent de l'hôpital en
début d'après-midi. Après s'être assurés que ni l'un ni l'autre
n'avait été exposé au moindre neurotoxique, ils firent une courte
halte dans un bureau de la police scientifique où Ari confia à une
connaissance le coussin avec la tache de sang, puis ils se
rendirent chez le père de la jeune femme.
Pour ne prendre aucun risque, ils enfilèrent des
gants et fouillèrent une deuxième fois les affaires de Charles
Lynch, avec cette fois un nouveau nom à rechercher : Jean
Laloup. Mais ils ne le trouvèrent nulle part.
En fin d'après-midi, ils décidèrent qu'il ne
servait à rien de s'obstiner. Il n'y avait rien ici. Ils sortirent
de l'appartement et retournèrent dans le cabriolet vert
d'Ari.
— Qu'est-ce qu'on fait, maintenant ?
demanda Marie, qui n'était pas encore remise de ses émotions.
— Tu as quelque part où aller pendant les
prochains jours ? Avec ce qu'il vient de se passer, il est
hors de question que tu restes chez ton père ou chez toi. Tu dois
trouver un endroit où te cacher, Marie.
— Chez toi ?
Mackenzie eut un petit rire nerveux. C'était
presque attendrissant.
— Non. Ce ne serait pas très prudent non plus.
Je pense que c'est bien le premier endroit où iront chercher les
gens qui sont après toi.
— Alors tu n'es pas en sécurité toi non plus,
riposta la jeune femme.
Ari pencha humblement la tête sur le côté.
— Je peux me défendre.
— Si tu peux te défendre, tu peux me défendre
aussi. Je me sentirai plus en sécurité avec toi que sans toi.
— Ça ne te va pas très bien de faire la gosse,
Marie.
— Je suis sérieuse, protesta-t-elle. Je ne me
sentirai tranquille nulle part. Je préfère rester avec toi.
Ari eut une moue sceptique.
— Bon, dit-il finalement. Je vais trouver une
solution. Tu veux bien m'attendre dans un café des Abbesses pour le
moment ?
— Pourquoi ? Tu vas où ?
— À la DCRI. Tu ne peux pas m'accompagner,
c'est interdit. Je te dépose au Sancerre. J'en ai pour une heure ou deux, pas plus.
Et je te rejoins après. Je vais essayer de nous trouver un endroit
où aller ce soir. Ça te va ?
Marie acquiesça.
Ari démarra la MG et ils filèrent vers le
dix-huitième. Quand ils furent à hauteur du café, la jeune femme
déposa un baiser sur la joue de Mackenzie et descendit de voiture,
l'air inquiet.
— Je me dépêche, promit-il.
La décapotable tourna dans l'étroite rue Germain
Pilon et descendit en trombe vers le boulevard de Clichy. Moins
d'une demi-heure plus tard, Ari entrait dans le bureau d'Iris
Michotte, à Levallois.
— Si Duboy te voit ici…
— Qu'il aille se faire foutre. Tu as du
neuf ?
— Oui. Je t'ai fait des notes de synthèse.
Tout ce que j'ai pu trouver sur la Summa
Perfectionis et sur Jean Laloup. C'est-à-dire pas
grand-chose. Tiens.
Elle lui tendit une fine chemise cartonnée.
— Merci.
— Pour Laloup, figure-toi que nous avions une
fiche.
— En tant que fondateur de l'INF, ça me paraît
normal.
— Je me suis donc contentée de recouper les
informations que j'avais sur Weldon – qui n'était pour nous
jusqu'à maintenant qu'un pseudo non identifié – et la fiche
sur Laloup. Les choses concordent. Ça te fait une synthèse plus
complète.
— Bravo. Et sur Marie Lynch ?
Iris eut une moue navrée.
— Cette jeune femme est effectivement atteinte
de la maladie de Huntington, Ari.
— Tu as obtenu son dossier
médical ?
— Quand même pas. Tu sais combien c'est
difficile… Mais elle est régulièrement admise à l'Hôtel-Dieu. J'ai
pu obtenir l'information d'un interne.
— Et c'est quoi, exactement, cette
maladie ?
— Une maladie héréditaire incurable… et
fatale.
Le visage d'Ari s'assombrit.
— Elle se développe en général aux environs de
quarante ans, mais il existe une forme juvénile, dont Marie Lynch
est atteinte.
— Et les symptômes ?
Iris attrapa sur son bureau une feuille sur
laquelle elle avait pris quelques notes.
— C'est une dégénérescence neuronale qui
affecte les fonctions motrices et cognitives du sujet. Au début, la
maladie se manifeste par de légers problèmes de coordination des
mouvements et une tendance dépressive.
— Je n'ai pas remarqué qu'elle avait des
mouvements étranges…
— Les troubles moteurs sont souvent absents
chez les sujets jeunes, ce qui rend le diagnostic plus difficile.
Plus tard, les mouvements anormaux deviennent plus évidents, ce qui
oblige souvent les personnes à abandonner leur travail. Ensuite,
les troubles cognitifs apparaissent, et le syndrome dépressif
conduit fréquemment au suicide. Tardivement, les individus
deviennent incontinents, muets et totalement dépendants pour la vie
quotidienne. La mort survient 15 à 25 ans après l'apparition des
premiers signes. L'âge moyen du décès est de 55 ans.
— Quelle horreur ! Alors elle se sait
condamnée ?
— Oui. Comme sa mère. Et surtout, elle sait
qu'elle va mourir dans des conditions atroces.
Ari poussa un soupir.
— OK. Bon. Je te remercie. Je vais avoir
besoin d'un appartement du programme de protection de témoins. En
off. Tu peux me dégotter
ça ?
— Pour qui ?
— Pour Marie Lynch. Le type à la canne
l'attendait chez elle aujourd'hui. Si je n'étais pas arrivé au même
moment, je pense qu'elle serait morte à cette heure.
Iris fronça les sourcils.
— T'es sûr que c'est une bonne idée ?
Elle devrait plutôt aller voir les flics, non ?
— J'ai promis de la protéger. Et je n'ai pas
envie de lancer les collègues sur l'affaire tout de suite. Ils vont
nous mettre des bâtons dans les roues. Et puis… Je pense qu'elle
peut nous aider.
— Mouais… Avec ce que tu sais à son sujet,
maintenant, je pense que tu devrais te méfier. Je te connais par
cœur, Ari. C'est typiquement le genre de nanas dont tu vas tomber
amoureux. Vulnérable, dépressive, enfantine… Je vais encore te
ramasser à la petite cuiller.
Mackenzie leva les yeux au plafond d'un air
las.
— Iris…
— De toute façon, Ari, je n'ai pas ça sous la
main. Comment veux-tu que je te trouve un appartement du programme
de protection de témoins comme ça, sans rien ? Je suis pas
procureur…
— OK. Laisse tomber. Tu en as déjà fait
beaucoup, t'inquiète pas. Merci pour toutes les notes.
Il sortit du bureau sous le regard consterné de sa
collègue.