32.
Le coup-de-poing fut si violent que Krysztov se
retrouva projeté jusque dans le salon, où il s'écroula sur le dos,
abasourdi.
Il n'en revenait pas de s'être fait avoir de façon
aussi stupide. Porte grande ouverte, appartement vide, il avait cru
que l'intrus était déjà parti… Mais celui-ci s'était caché sur le
pallier, sans doute l'attendait-il depuis plusieurs minutes.
Zalewski secoua la tête et eut à peine le temps de
se redresser que déjà il recevait un coup de pied dans les côtes.
Il poussa un cri qui tenait plus de la rage que de la douleur,
roula sur le côté et se cogna la tête contre sa table basse. Fou
furieux, il donna un coup de reins pour se relever avant que son
assaillant ne se jette à nouveau sur lui.
L'homme, petit et trapu, les cheveux ras, avait un
physique de boxeur anglais. Nerveux, teigneux, il fonçait droit sur
sa victime, la tête rentrée dans les épaules et les poings
levés.
Krysztov, cette fois, eut le temps de se préparer.
Solidement ancré sur ses deux jambes, il para un premier
coup-de-poing, un second, et riposta à son tour. Plus rapide, plus
fin, il réussit à passer au travers de la garde de son adversaire
et lui décocha un direct en plein visage. Il entendit l'os nasal se
briser d'un coup net sous l'impact. L'instant d'après, le sang se
mit à couler abondamment sur la bouche de l'intrus qui relâcha son
attention pour s'essuyer du revers de la main. Zalewski en profita
pour enchaîner avec un crochet du gauche, mais il manqua sa cible.
L'inconnu avait fait un pas en arrière et esquivé.
Les deux hommes se toisèrent pendant quelques
secondes. Au même instant, Krysztov crut entendre un bruit dans sa
chambre. Là où se trouvait son coffre-fort.
Il fronça les sourcils et jeta un coup d'œil, mais
son adversaire choisit ce moment pour l'attaquer. Les deux hommes
s'engagèrent à nouveau dans le combat, échangeant les coups à un
rythme de plus en plus rapide. Après avoir essuyé un uppercut,
Zalewski décida de profiter de sa grande taille, prit un peu de
distance et envoya un coup de pied. Son talon atterrit en plein
dans la tempe de son adversaire. Mais ce dernier se montrait
inébranlable. Lourd et massif, il encaissait les coups les uns
après les autres sans broncher et continuait d'avancer comme un
pit-bull enragé.
Tout en esquivant, Zalewski essayait de l'entraîner
vers la chambre, pour identifier le bruit qu'il avait entendu.
L'autre sembla remarquer son manège et fondit sur lui tête baissée,
comme un sanglier. Krysztov n'eut pas le temps d'éviter et reçut
toute la masse de son agresseur en plein torse. Il fut projeté en
arrière et s'écrasa le dos contre une bibliothèque dans un immense
vacarme. Livres et bibelots s'écroulèrent sur lui en même temps
qu'il glissait vers le sol.
Son adversaire ne lui laissa pas une seconde de
répit et lui asséna une avalanche de coups de poing. Krysztov
croisa les bras devant le visage pour tenter de freiner les assauts
répétés du molosse, mais la plupart des attaques faisaient
mouche.
Il tenta tant bien que mal de se dégager.
Cependant, l'autre le maintenait cloué au sol de tout son poids.
Plutôt que de parer, Krysztov tendit le bras gauche vers la
bibliothèque et ses doigts trouvèrent une petite statuette de
bouddha. Il l'agrippa fermement et l'envoya de toutes ses forces
vers le visage de l'homme. Celui-ci poussa un grognement et roula
sur le côté en se tenant le front.
Zalewski se releva, mais il avait reçu tant de
coups au visage que la tête lui tournait, et à peine fut-il sur ses
jambes qu'il perdit l'équilibre. Il partit en arrière et s'écroula
à nouveau.
L'intrus, quant à lui, venait de se remettre
debout. Le sang coulait de son nez et de son front. Il fixait le
garde du corps avec une colère noire, comme s'il ne s'était pas
attendu à une telle résistance. Il fit un premier pas en avant,
mais l'irruption soudaine d'un autre homme dans le salon
l'interrompit dans son élan.
Krysztov, groggy, eut du mal à distinguer les
traits de l'individu qui venait de sortir de sa chambre. Grand et
mince, il avait les cheveux blancs coupés courts, et paraissait la
cinquantaine. Le Polonais remarqua qu'il portait des gants en cuir
noir et qu'il tenait dans la main droite une belle canne en bois,
surmontée d'un pommeau argenté.
— Il n'y a rien dans le coffre. On y va,
dit-il d'une voix grave et posée.
— Et lui ? J'en fais quoi ? demanda
le dogue enragé debout au milieu du salon.
— On le laisse ici.
— On pourrait l'interroger…
— Pas dans le contrat. On n'a pas le temps. On
y va. Je sais où chercher.
L'homme sembla regretter vivement la décision de
son complice, poussa un soupir, et ils sortirent tous deux sans
attendre.