82.
— J'ai les résultats des analyses que vous
avez demandées, annonça l'agent de la police scientifique à l'autre
bout du fil.
Willy Vlaeminck était à présent livré à lui-même.
Ses deux principaux collègues se trouvaient quelque part en
Mongolie. Quant au SGA, en visite en Europe de l'Est, il ne serait
pas de retour avant au moins trois jours.
Les choses s'étaient soudainement accélérées et la
situation leur échappait de plus en plus. D'un côté, Mackenzie
avait visiblement trouvé une piste sérieuse et, contrairement à ce
qu'il avait réussi à leur faire croire, ce n'était pas en Mongolie.
De l'autre, selon plusieurs indicateurs, l'affaire avait commencé à
s'ébruiter dans les services. La CIA, le Gonganbu et le SVR[1] étaient en train de se renseigner sur
Weldon et ses activités au sein de l'INF. Tôt ou tard, le SitCen
allait perdre son avance, ce qui serait une catastrophe pour
l'Europe. Enfin, il semblait qu'il y avait eu une fuite à la DCRI
et que quelqu'un avait informé le ministre de l'Intérieur français
des activités de Mackenzie.
Cette dernière nouvelle était sans doute la plus
préoccupante de toutes. En effet, depuis la clôture précipitée de
l'affaire des carnets de Villard, le SitCen avait des doutes
sérieux sur la probité du ministre français. Vlaeminck espérait
seulement qu'il n'allait pas tout faire capoter.
Mais pour l'heure, la priorité restait la
même : localiser Weldon et le dénicher avant Mackenzie.
— Je vous écoute, dit l'agent belge, le
téléphone coincé entre l'épaule et l'oreille.
— Le produit qui a été utilisé est bien un
poison neurotoxique qui a été transmis aux victimes par voie
transcutanée. Un simple contact. Mon hypothèse est que l'assassin
utilise des gants enduits de poison pour toucher la peau de ses
victimes.
Vlaeminck se rapprocha de sa table pour prendre des
notes
— Quel genre de poison ?
— De la batrachotoxine.
— Qu'est-ce que c'est que ce truc ?
— C'est un poison mortel, 250 fois plus
puissant que le curare, que l'on prélève sur la peau de certaines
espèces de grenouilles. Dans le cas qui nous intéresse, le
neurotoxique qui a été utilisé provient d'une grenouille
kokoï, un phyllobates terribilis, si vous préférez. Cette
petite bête, qui dépasse à peine les trois centimètres, secrète
assez de toxine pour tuer dix mille souris ou une vingtaine d'êtres
humains. Simplement en la touchant.
— Et elles viennent d'où, ces
grenouilles ?
— La plupart des phyllobates viennent d'Amérique du sud. Là-bas, on
les appelle les « grenouilles à flèches », parce que les
chasseurs recueillent leur poison pour en enduire leurs flèches.
Ils le récupèrent goutte à goutte en maintenant la grenouille
au-dessus du feu, puis ils trempent les pointes de leurs armes dans
le liquide. À noter que le meurtrier se fournit probablement
directement là-bas.
— Pourquoi ?
— La grenouille ne produit pas cette toxine
naturellement. Je veux dire : on ne peut pas faire un élevage
en France et espérer récupérer le poison, par exemple. La
batrachotoxine provient des insectes que les batraciens mangent
dans la jungle. Si un phyllobates est
placé dans un environnement artificiel, il ne produit plus cette
substance.
— Je vois.
— En ce qui concerne cette grenouille,
précisément, c'est une espèce qui vit à l'ouest de l'Amazonie. En
Colombie et en Équateur, essentiellement. Je ne sais pas si ça peut
vous être utile…