61.
— C'est amusant que tu lises ça…
Marie releva brusquement la tête, un peu surprise.
Accaparée par sa lecture, elle n'avait pas vu Mackenzie arriver sur
la terrasse bondée du Sancerre. Elle
reposa l'édition de poche de La Conjuration
des imbéciles sur la haute table, à côté d'un verre
d'Irish Coffee à moitié vide.
— Pourquoi ?
— Je l'ai lu il y a quelques jours sur les
conseils de Béné. La serveuse d'ici.
Un sourire se dessina sur le visage de
l'actrice.
— Très jolie. C'est une de tes
conquêtes ?
— Non. C'est la serveuse. Pourquoi tout le
monde est persuadé que je me tape des serveuses ?
— Parce que tu passes ta vie dans les
bars ?
— Pas faux. Mais non, c'est juste une
amie.
— Je vois. Elle a l'air très drôle.
— Elle l'est.
— Alors, on dort où ce soir ?
— À l'hôtel.
L'actrice pouffa.
— Tout ça pour ça ? Dis donc, Ari, si tu
voulais m'emmener à l'hôtel, il suffisait de le dire depuis le
début, pas besoin de t'absenter deux heures pour ça…
— J'espérais trouver une autre solution. Mais
ne vous emballez pas, mademoiselle, nous prendrons deux chambres
séparées.
— M'emballer ? C'est l'Hôpital qui se
fout de la Charité, là… Es-tu bien sûr que, de nous deux, celui qui
a envie de coucher, c'est moi ?
— Ça saute aux yeux.
— Oh ! Rien que ça ? demanda-t-elle,
feignant d'être choquée.
— Tu veux que je te cite ? De
mémoire : « Marie fantasme sur un flic. C'est grave
docteur ? »
— Ouais… Eh bien je fantasme tout de suite
beaucoup moins, là, d'un coup. Un type trop sûr de lui, ça me coupe
toutes mes envies.
— Ça tombe bien, répliqua Ari tout sourire,
puisqu'on ne va pas coucher ensemble.
— Parfaitement.
— Bon. On peut y aller maintenant ?
— Tu permets que je finisse mon Irish Coffee ?
L'analyste haussa les sourcils, puis il fit signe à
Bénédicte, à l'intérieur du bar, et prit place à côté de
l'actrice.
La serveuse s'approcha, un plateau vide à la
main.
— En voyant votre livre, j'aurais pu me douter
que vous étiez une amie de Mackenzie ! dit-elle en adressant
un sourire à Marie. Vous auriez dû me le dire.
— Pourquoi ? Vous trouvez vraiment qu'il
y a de quoi être fière ? demanda la jeune femme d'un ton
moqueur.
— Non. Mais, par compassion, j'aurais mis plus
de whisky dans votre café.
— Vous êtes aussi drôle l'une que l'autre,
intervint Ari. Vraiment. Vous écouter pendant des heures serait un
plaisir, mais je pourrais avoir un whisky, plutôt ?
Bénédicte lui caressa la joue d'un air
maternel.
— Mais bien sûr, Ari. Vous savez bien que je
ne peux rien vous refuser.
Elle lui fit un clin d'œil charmeur et disparut
vers le bar.
— Juste une amie, hein ? glissa
Marie.
— Tu te rends compte que ce type s'est suicidé
en pensant que son livre n'intéressait personne ?
— Pardon ?
— John Kennedy Toole. L'auteur de la
Conjuration des imbéciles. Le livre que
tu es en train de lire…
— Ah, oui. Oui, je crois que j'ai vu ça
quelque part.
— C'est une histoire fabuleuse,
non ?
— Que cet écrivain se soit suicidé ?
C'est horrible, tu veux dire !
— Pour l'auteur, certes… Mais pour la
littérature ! Le type envoie son roman à un éditeur, celui-ci
le lui retourne en lui disant que son livre est
« indigent », hop, le type met fin à ses jours ;
onze ans après, sa mère parvient finalement à faire publier son
roman à titre posthume, et il reçoit le Pulitzer. Belle histoire,
non ?
— N'importe quoi ! Un suicide, c'est un
suicide. C'est jamais une belle
histoire.
— Tu n'as pas l'âme romantique…
— Et toi t'es con comme un manche.
Ari se rendit compte à cet instant de sa maladresse
et sentit le sang monter à son front. Quel imbécile il
faisait ! Parler si légèrement de suicide à une personne
atteinte de la maladie de Huntington n'était probablement pas
l'idée la plus lumineuse qui fût. Il se rassura en se disant qu'il
ne devait pas changer soudain d'attitude avec elle sous prétexte
qu'il la savait malade.
Heureusement, Bénédicte apporta à cet instant le
verre de whisky et ils purent passer à autre chose.
Ils trinquèrent et burent une gorgée
ensemble.
— Je te préviens, on baise vraiment pas, ce soir ! dit Ari très
sérieusement en reposant son verre.
L'actrice repartit d'un rire bruyant.
— Oh la la ! Mackenzie ! C'est super
ringard, ça, comme technique de drague, le coup du je-suis-pas-intéressé-on-baise-pas-bla-bla-blah !
T'es pas crédible !
— C'est pourtant la vérité. Je ne suis pas
intéressé. Non mais tu t'es vue ?
Elle sourit et ils continuèrent ainsi à se
chamailler pendant un bon moment, ponctuant leurs réparties
d'éclats de rires partagés, jusqu'à ce que leurs verres soient
vides. Puis Ari expliqua qu'il voulait aller travailler à l'hôtel
sur les notes d'Iris, ce qui ne manqua pas de faire sourire la
jeune femme.
— Ouais, ouais… C'est ça ! Travailler,
ouais !
Ils réglèrent l'addition et marchèrent jusqu'au
grand hôtel qui surplombait la place de Clichy. À la surprise de la
jeune femme, l'analyste y avait effectivement réservé deux chambres
séparées. Toutefois, un quart d'heure plus tard, ils étaient
ensemble dans celle de Mackenzie. Assis devant le bureau, Ari
ouvrit la chemise cartonnée d'Iris.
— Je peux regarder avec toi ? demanda
Marie en s'approchant de lui.
— Non. Ce sont des documents de la DCRI, et je
te dis déjà bien assez de choses que tu n'es pas censée
savoir.
Elle soupira, prit la télécommande de la télévision
et s'allongea sur le lit.
— Ok, ok… Ça te dérange si je regarde la
télé ?
— Non.
Il étala devant lui les deux fiches établies par sa
collègue. Celle qui concernait Jean Laloup était brève ; il la
lut rapidement.
« Nom : Laloup
Prénom : Jean
Né le : 21 avril 1942 à Courbevoie.
Pseudonymes : Chevalier Weldon, le Docteur,
Marquis de Montferrat, Comte Bellamarre, Prince Ragoczy (tous ces
pseudonymes font référence au légendaire Comte de Saint-Germain, et
il n'est pas le seul à les avoir utilisés, ce qui rend les choses
compliquées).
Adresses connues : Chancery Mews, SW17 7TD,
Londres, Angleterre. Une seule adresse connue en France,
domiciliation de l'EURL Weldon : 51 rue de Montmorency, 75003
Paris.
Activités professionnelles : cofondateur et
membre du conseil d'administration de l'INF, ancien vice-président
de l'INF, président de la Summa
Perfectionis et gérant de l'EURL Weldon (conseil en
développement durable). Ancien conseiller à la Délégation à la
prospective et à la stratégie du ministère de l'Intérieur
(2002-2007). Auteur de nombreux livres sur le développement durable
et sur le conservationnisme (publiés notamment par les éditions
internes de l'INF). Sous le nom de Chevalier Weldon, auteur de
plusieurs traités ésotéristes chez des micro-éditeurs spécialisés
(essentiellement sur l'alchimie).
Activités politiques, philosophiques, religieuses
ou syndicales : sympathisant du Front national (carte de
membre du parti entre 1984 et 1987, participation à
plusieurs colloques jusqu'en 1995, puis tente de rompre tout lien
officiel avec l'extrême-droite), catholique non pratiquant, aucune
activité syndicale connue. Sans en être membre (à notre
connaissance), participe en tant que conférencier à de nombreux
colloques et réunions d'associations philosophiques, ésotériques et
sociétés secrètes : la Blue
Anthill, la Stella Matutina, la
Société Théosophique, la Société des amis de Fulcanelli, la
Virga Aurea, la Philosophia Reformata… Au cours des vingt dernières
années, a également pris part à plusieurs rencontres du CFR et du
Bilderberg. Membre de Mensa. »
En bas du texte imprimé, Iris avait ajouté quelques
lignes à la main.
« C'est tout ce que j'ai trouvé en compilant
les deux fiches (Weldon et Laloup). Il semble avoir encore
aujourd'hui des liens avec le ministère de l'Intérieur, donc
méfiance. »
Ari prit des notes sur son carnet Moleskine. La
synthèse ne lui apprenait pas grand-chose. Le plus étonnant,
finalement, était la date de naissance. Weldon était beaucoup plus
vieux qu'il ne lui avait paru, dans ses souvenirs en tout cas.
Après tout, la dernière fois qu'il l'avait vu, c'était à la
télévision, quelques mois plus tôt. Son étonnante jeunesse l'aidait
sans doute à se donner cette image de Comte de Saint-Germain dans
les milieux ésotéristes.
L'analyste rangea la première fiche dans le dossier
et se tourna vers Marie. Allongée sur le lit, elle avait les yeux
rivés à l'écran et grignotait des cacahuètes qu'elle avait trouvées
dans le minibar.
— Ça a l'air passionnant, ce que tu regardes,
dit-il d'un air taquin.
— Sublime. C'est une émission de téléréalité.
Des parents qui n'aiment pas le petit ami de leur fille essaient de
la convaincre de le quitter en lui présentant d'autres
prétendants.
— Magnifique.
— Si tu veux que j'éteigne, tu n'as qu'à me
laisser regarder ton dossier.
— Bien essayé. Mais c'est non.
— Tu veux un truc à boire ?
— Je suppose qu'ils n'ont que du whisky
dégueulasse…
— C'est un minibar, pas le Lutetia.
— Donne toujours.
Elle lui apporta une mignonette et en profita pour
regarder par-dessus son épaule. Ari referma aussitôt le dossier.
Marie retourna sur le lit, dépitée. Elle attrapa un coussin et le
serra sur son ventre dans un geste enfantin.
Mackenzie se remit au travail. La deuxième fiche,
concernant la Summa Perfectionis, était
un peu plus longue. Il prit une gorgée de whisky et se lança dans
la lecture.
« Le terme Summa
Perfectionis (sommet de la perfection, en latin) fait
référence à trois choses distinctes :
1 – C'est le titre d'un ouvrage sur
l'alchimie, attribué à Jâbir ibn Hayyân (alchimiste arabe du
viiie siècle), mais rédigé en réalité par Paul de
Tarente (surnommé le pseudo Geber) au xiiie siècle.
Ouvrage généraliste, synthèse des connaissances sur l'hermétisme au
moyen-âge.
2 – Plusieurs textes hermétiques font
référence à la Summa Perfectionis comme
étant une société savante secrète, créée à Londres au xvie siècle par
John Dee, mathématicien et occultiste britannique. Aucune preuve
concrète qu'elle ait réellement existé. Ce pourrait bien être une
mystification contemporaine (comme le Prieuré de Sion par exemple),
inspirée de l'Invisible College, qui a
bien existé, lui, et auquel John Dee a effectivement
appartenu.
3 – Enfin, il s'agit de la raison sociale du
département de recherche scientifique créé par Jean Laloup au sein
de l'INF en 1975. Il en prend alors la présidence et quitte le
poste de vice-président de l'INF.
Contrairement au reste de l'organisation, la
Summa Perfectionis n'envoie aucun
communiqué de presse. L'INF fait preuve d'une grande discrétion au
sujet de ce département, dont l'objet officiel est de conduire des
recherches scientifiques dans le cadre de la conservation de la
faune et de la flore à travers le monde.
La liste exacte des membres de la Summa Perfectionis n'est pas communiquée, mais il
semble que l'INF recrute essentiellement dans les milieux
scientifiques.
Le budget est obscur (l'argent de la Summa Perfectionis est placé sur des comptes
offshore). Le financement est assuré pour moitié par les fonds
propres de l'INF, et pour les 50 % restants par des capitaux
privés. Conformément à ses statuts, la Summa
Perfectionis maintient une liste de cent donateurs privés,
désignés membres d'honneur, qui paient une cotisation annuelle de
dix mille livres sterling (ce qui assure au minimum un fond de
roulement annuel d'un million de livres, sans compter les fonds
versés par l'INF). La répartition du financement n'est détaillée
sur aucun document officiel ; la Summa
Perfectionis est simplement une ligne budgétaire dans les
comptes annuels de l'organisation.
Dans les faits, il semble que l'activité principale
de la Summa Perfectionis consiste à
ouvrir des laboratoires de recherche (mais peut-être aussi de
prospection) dans les différentes zones de « protection de la
nature » acquises par l'INF. Là encore, leur liste exacte
n'est pas connue, mais mention est faite de centres construits en
Amazonie équatorienne, dans le désert de Gobi (Mongolie), près du
Mont Shasta (Californie), au Pôle Nord, et dans la région de
Vârânasî (Inde). »
Mackenzie interrompit aussitôt sa lecture. Il était
certain de voir un lien entre toutes ces localités. Cela ne pouvait
pas être une coïncidence. Malheureusement, il n'avait pas ici la
documentation pour vérifier son pressentiment. Il aurait pu passer
chez lui pour trouver les ouvrages de référence nécessaires, mais
il était déjà tard et ils n'avaient pas mangé. Quelque chose lui
disait toutefois qu'il venait de trouver le lien entre Villard de
Honnecourt et les activités supposées de Jean Laloup.
Il referma le dossier devant lui d'un air
satisfait.
— T'as fini ? demanda Marie, toujours
allongée sur le lit.
— Pour le moment, oui.
— T'as trouvé quelque chose
d'intéressant ?
— Peut-être. Il faut que je vérifie un
truc.
— Quoi ?
— Je te dirai quand je serai sûr.
— Bonjour la confiance !
— T'as faim ?
Elle haussa les épaules.
— Bof. Un peu.
— Tu veux qu'on aille se faire un
resto ?
— Pas très envie de sortir. On se commande un
plateau ? Il y a un épisode de Lost qui commence dans cinq minutes.
— Tu aimes bien cette série ?
— Pas toi ?
— Si. Beaucoup.
— Alors tu nous commandes un plateau télé à la
réception ? dit-elle en lui tendant le téléphone.
Ari acquiesça en souriant. Il passa la commande et
quelques minutes plus tard, adossés à la tête de lit, ils mangèrent
leur repas tout en suivant les rebondissements incroyables de la
série américaine. Ils partagèrent ces moments avec une telle
aisance qu'on eut dit qu'ils se connaissaient depuis longtemps. En
réalité, peut-être se ressemblaient-ils bien plus qu'ils ne s'en
rendaient compte eux-mêmes.
Quand le deuxième épisode fut fini, Marie posa le
plateau par terre, s'allongea sur le lit et se tourna vers Ari, la
tête appuyée sur son coude.
— Bon. C'est quoi le plan, maintenant ?
On fait quoi ?
Mackenzie n'était pas certain de savoir si elle
parlait de l'instant présent ou des prochains jours. Il préféra
opter pour la seconde supposition.
— Eh bien, pour résumer, tout tourne autour de
ce fameux Weldon, ou plutôt Jean Laloup, de son vrai nom. Bref, il
faut que je trouve ce type.
— Et tu sais où le chercher ?
— Non. Pas encore. Mais il y a plusieurs
pistes possibles.
— Alors on fait quoi ?
— Eh bien, toi, rien. Tu restes bien sagement
planquée le temps que mon enquête avance.
— Super ! railla-t-elle.
— C'est toujours mieux que de se faire tuer,
non ?
— Je te préviens, je ne vais pas passer mes
journées enfermée ici, hein…
— Du moment que tu ne passes ni chez toi, ni
chez ton père, tu fais ce que tu veux. Mais pour dormir, tu restes
ici… Pour l'instant, je n'ai rien trouvé de mieux. Si mon enquête
n'avance pas, on finira par prévenir la PJ, et ils s'occuperont de
ta sécurité.
— Et toi ?
— Moi, tu sais, je suis seulement là pour te
faire plaisir. Je pourrais très bien rester chez moi…
— Vous êtes trop bon, dit-elle d'un ton
sarcastique. Il est tard. Je vais te laisser dormir, Ari. On prend
quand même le petit-déjeuner ensemble demain ?
— Oui, si tu veux. Neuf heures ça te
va ?
Elle acquiesça et se leva du lit.
Ari l'accompagna jusqu'à la porte. À la regarder
ainsi marcher devant lui, il ne put s'empêcher de penser qu'elle
était terriblement désirable. Néanmoins, il était fier de n'avoir
pas essayé de la retenir. Il savait que sa rencontre avec Lola et
son fameux Thomas – monsieur le caméraman faussement
négligé – l'avait plongé dans un état de vulnérabilité
lamentable, et que se réfugier dans des ébats avec une jeune
actrice n'était certainement pas la meilleure idée. Sans compter
que ce qu'il savait sur l'état de santé de Marie le mettait dans
une situation délicate.
Mais alors qu'il allait lui ouvrir la porte, il la
vit s'immobiliser sur le seuil et se retourner vers lui en
souriant, comme si elle avait lu dans ses pensées. Dans la lumière
orange du soir, son visage était plus doux encore et ses taches de
rousseur lui donnaient l'air irréel d'un tableau vivant. Ari tenta
de ne pas baisser les yeux vers ses seins lourds et ses hanches
fines, diaboliques invitations au plaisir qu'il refusait de
convoiter.
Cette fois-ci, il se pencha le premier pour lui
faire la bise, certain de feindre correctement l'indifférence. Au
second baiser toutefois, la jeune femme s'arrêta, la joue collée
contre celle d'Ari, et le retint par l'épaule. Elle demeura ainsi
quelques secondes, dans une hésitation figée, puis inclina
doucement la tête. Le visage levé vers lui, elle le regardait avec
dans les yeux une lueur nouvelle, pleine de sous-entendus.
Ari ne bougea pas d'un centimètre. Mais son
souffle, sans doute, dut trahir son désir et il vit Marie approcher
sa bouche de la sienne. Il eut d'abord un geste de recul, puis il
ferma les yeux et se laissa entraîner dans un baiser d'une infinie
tendresse. Bientôt, cette tendresse se transforma en fougue et
leurs lèvres se pressèrent comme si elles avaient pu s'unir
totalement.
Les mains de la jeune femme remontèrent le long de
son torse et il se sentit poussé en arrière. Plaqué contre le mur,
il rouvrit les paupières et la dévisagea. Elle avait maintenant
dans le regard une ardeur que rien ne semblait pouvoir arrêter.
Lentement, elle amena ses doigts fins vers le col de la chemise de
Mackenzie et enleva le premier bouton. Elle s'approcha encore et
l'embrassa dans le cou tout en le déshabillant.
Dans un premier temps, Ari se laissa diriger, comme
pour montrer qu'il n'était pas l'initiateur de ce dérapage, puis,
gagné par la ferveur, il attrapa Marie par les hanches et entreprit
à son tour de la dévêtir. Il lui enleva son t-shirt noir, puis il
dégrafa son soutien-gorge et libéra une poitrine plus belle encore
qu'il ne l'avait imaginée.
Ils quittèrent l'entrée et se mirent en mouvement
vers la chambre, jetant un à un leurs derniers vêtements sur le sol
à mesure qu'ils approchaient du grand lit. Puis ils tombèrent sur
le matelas, collés l'un à l'autre. Leurs mains, leurs bouches,
leurs langues se faufilèrent, caressèrent, explorèrent et ce fut
presque une joute entre deux corps avides de se posséder.
Ivre de désir, n'y tenant plus, Ari hissa l'actrice
vers le haut du lit, se glissa entre ses jambes et la pénétra, son
regard plongé dans le sien, comme un défi.
Ils firent l'amour longuement, sauvagement,
sublimés l'un et l'autre par la férocité de leur flamme,
découvrant, avec stupeur, une alchimie sensuelle inexplicable, une
osmose presque biologique. La passion de leur ébat n'eut d'égal que
la violence et la concordance de leur jouissance.
Au terme d'un râle presque animal, Ari, essoufflé,
s'écroula au milieu du lit. Mais la jeune femme, assise sur lui à
califourchon, l'attrapa aussitôt par la nuque, le regarda droit
dans les yeux et, d'une voix volcanique, elle susurra :
— Qu'est-ce que tu fais ? Tu capitules,
le vioc ? Je n'en ai pas fini avec toi, Mackenzie !
Ari écarquilla les yeux et assista, perplexe, à la
résurrection de son propre désir. Marie, passionnée, déterminée,
joua de tout son corps pour réveiller l'ardeur de son partenaire et
ils firent l'amour une seconde fois.
Alors qu'elle le chevauchait, elle ne put soudain
retenir un sourire et, le regard provoquant, elle
ânonna :
— Je savais bien que t'avais envie de me
sauter…
Ari la fit basculer sur le côté et roula au-dessus
d'elle.
— Ce que je vois, moi, c'est que j'ai pris
deux chambres pour rien.
Ils reprirent leurs ébats avec une vigueur
nouvelle, belliqueuse, mélangeant les gémissements de plaisirs aux
rires complices dans la chaleur de cette nuit d'été. Glissant l'un
sur l'autre, se redressant soudain, se tournant autour dans un
ballet païen, leurs deux corps trempés de sueur brillaient à la
lumière de la lune comme deux lames de couteau.
Cette nouvelle danse fut plus longue et plus
intense encore que la première et, par un miracle qu'Ari refusa de
voir comme un signe, ils atteignirent à nouveau de concert l'apogée
de leur plaisir.
Cette fois, épuisés, ils s'allongèrent l'un à côté
de l'autre, le regard figé au plafond. Le corps de Marie fut secoué
de quelques spasmes qui leur tirèrent à tous les deux des rires
abandonnés.
Puis Marie se tourna vers lui. Tout en reprenant
lentement son souffle elle le dévisagea avec une tendresse qui
semblait l'étonner elle-même.
Ari lui caressa la joue. Le sourire que la jeune
femme lui rendit lui parut presque triste. Il ne put s'empêcher de
penser que Marie, à cet instant, devait songer à sa maladie, ou en
tout cas, à son sort, à l'idée d'une échéance. Il éprouva un élan
de compassion dont il eut presque honte. Il lui prit la main, la
serra fort au creux de ses paumes et l'embrassa délicatement.
Il devait être une heure du matin quand les amants,
nus, blottis l'un contre l'autre, s'endormirent enfin. Ils
n'échangèrent pas un mot de plus. Tout était dit.