28.
Je crois pouvoir dire que mon métier me donne
quelque faveur dans la connaissance de la nature humaine. Après
tout, je ne fais rien d'autre qu'écouter mes semblables, les
regarder et reporter sur des pages ces petits bouts de vie qu'ils
me dictent, qu'ils me confient aveuglément. À l'écrivain que je
suis on livre sans pudeur ses peurs, ses espoirs, ses envies, et
même ses mensonges, parfois.
Depuis le temps que j'observe les hommes, je crois
pouvoir dire que je les connais fort bien. Je sais leurs défauts,
leurs qualités, leurs forces et leurs faiblesses. Et s'il est
indéniable que ce sont leurs différences qui les rendent
intéressants, leurs ressemblances, avec le temps, me les ont rendu
plus attachants.
Avec les horreurs que certains m'ont fait, avec
toutes les calomnies que Pernelle et moi avons dû essuyer, j'aurais
pu céder au mépris et poser sur mes contemporains un regard
critique, nourri de rancœur et de haine. Et pourtant, je les aime
bien plus que je ne saurais vous le dire.
J'aime les hommes, non pas pour ce qu'ils ont de
meilleur, mais pour ce qu'ils ont de pire. Il n'y a d'ailleurs
aucune autre façon de les aimer. J'aime le menteur et la menteuse,
j'aime le lâche, j'aime l'égoïste et le manipulateur, j'aime la
cruauté de l'adulte comme celle de l'enfant qui arrache ses pattes
à la fourmi, j'aime le cynique, j'aime le fou, je les aime tous car
tous sont un petit peu moi. Allons, ne te mens pas à toi-même, cher
lecteur. Il y a en chacun de nous tout à la fois un menteur, un
lâche, un égoïste, un manipulateur, un cruel, un cynique et un fou.
Savoir le reconnaître chez soi autant que chez autrui est salvateur
car cette communauté de faiblesses a ceci de formidable qu'elle
efface nos solitudes.
Si la naissance comme la mort sont deux expériences
qui ne se partagent pas, si notre entrée et notre sortie dans ce
monde doivent être marquées du sceau d'un inévitable isolement,
autant chérir ce qui, entre les deux, nous lie les uns aux autres,
même si ce n'est pas ce qu'il y a de plus beau chez l'homme.
Je suis écrivain pour reconnaître et éclairer chez
vous ces faiblesses qui, à mon grand soulagement, me confirment que
je vous ressemble un peu.