23.
Lorsqu'il poussa délicatement la porte entrouverte du bureau qu'il partageait avec Sandrine Monney, Stéphane Drouin sentit les battements de son cœur s'accélérer. Certes, il n'était pas impossible que sa collègue n'ait pas refermé en partant, mais c'était tout de même étonnant. Étant donné les circonstances, il ne pouvait s'empêcher d'imaginer que quelqu'un l'attendait peut-être à l'intérieur, tapi dans l'ombre, et pourquoi pas avec une arme…
Il retint son souffle et donna une dernière impulsion au battant. La faible lueur du couloir se diffusa à l'intérieur du bureau. À première vue, il n'y avait personne dans la pièce et rien n'avait été dérangé. La mâchoire serrée, il fit un pas et tendit la main vers l'interrupteur.
La lumière des néons inonda le bureau, révélant les dernières zones d'ombre. Toujours rien ni personne. Peut-être n'était-il pas trop tard. Le jeune homme jeta un coup d'œil dans le couloir derrière lui, rassembla son courage et se dirigea vers l'ordinateur de sa collègue.
Il alluma la machine en prenant place sur le fauteuil. Pendant le démarrage, il lança des regards inquiets autour de lui, comme s'il s'attendait à tout moment à voir quelqu'un faire irruption. Le ronronnement monotone de la climatisation alourdissait l'atmosphère.
— Allez ! Allez ! murmura-t-il en tapotant nerveusement sur le bord de la table.
L'écran afficha enfin la page d'accueil du système d'exploitation. Drouin s'approcha du clavier et commença sa recherche. Il n'était pas certain de savoir où regarder, mais une chose était sûre, ce dont il avait besoin était sur un dossier protégé, qui n'était pas en accès libre sur l'Intranet. Sandrine avait forcément isolé ses documents. Il parcourut toute l'arborescence du disque dur, inspecta les dossiers un par un, ouvrit tous ceux qui comprenaient des sous-dossiers. Rien. Il lança une recherche automatique en testant les mots clefs qui lui passaient par la tête. Toujours rien.
Il poussa un soupir de découragement, puis réfléchit un instant. Après tout, ce n'était pas si étonnant, Sandrine avait dû prendre des précautions.
Il entra dans le panneau de configuration de l'ordinateur, ouvrit la fenêtre des outils d'administration et démarra le logiciel de gestion des disques durs. Le programme détecta alors une partition cachée, qui n'était pas dans le format du système d'exploitation et que l'on ne pouvait donc explorer directement ici. Devant la partition, Stéphane reconnut aussitôt la petite icône en forme de pingouin. Le jeune homme sourit. Sandrine Monney avait sur son disque une partition Linux cachée.
Avec des gestes nerveux, il chercha dans les tiroirs un CD de boot. Il en trouva finalement un dans le sous-main qui recouvrait le bureau. Il fit redémarrer l'ordinateur sous Linux et vit enfin apparaître la partition cachée du disque dur. Il découvrit aussitôt un répertoire dont le nom ne laissait aucun doute. Projet Rubedo. C'était exactement ce qu'il cherchait. Il s'empressa de l'ouvrir.
Son enthousiasme fut de courte durée : le dossier était entièrement vide !
Stéphane frappa du poing sur la table, dépité. Il avait fait tout ça pour rien.
Deux solutions : soit Sandrine avait elle-même effacé ses documents en rentrant chez elle pour ne laisser aucune trace sur son ordinateur, soit quelqu'un était venu ici avant lui et les avait récupérés.
De toute façon, il ne servait plus à rien de rester là.
Le jeune homme se releva. Un peu trop vite, peut-être. Pendant un court instant, il sentit sa tête tourner, comme un léger étourdissement.
Stéphane s'agrippa à la table devant lui, prit le temps de recouvrer ses esprits puis se dirigea vers l'armoire de sa collègue. Il parcourut les différentes chemises empilées sur les étagères, lut une à une les tranches des CD-Rom. Nulle part il ne repéra la mention du fameux dossier. Inutile de s'entêter. Il n'y avait plus rien dans ce bureau. Le moment de partir était venu.
Mais alors qu'il s'apprêtait à refermer l'armoire, il fut pris d'un nouveau vertige. Plus violent cette fois. Sa vue se troubla pendant quelques secondes et il faillit perdre l'équilibre. Il se retint sur le montant de l'armoire en jurant. Que lui arrivait-il ?
Quand il estima qu'il pouvait marcher, il tenta d'avancer vers la porte. Très vite, il constata que son étourdissement ne faisait qu'empirer. C'était comme s'il avait absorbé un anesthésiant. Ses membres semblaient peser anormalement lourd et le sang battait plus fort dans ses tempes. Il avait peut-être besoin de prendre l'air, tout simplement.
Une fois sorti du bureau, il se dirigea en titubant en direction de l'ascenseur. Dans la cabine, il eut du mal à appuyer sur le bouton du rez-de-chaussée. Plus les secondes passaient, plus sa vue se brouillait et plus le moindre geste devenait difficile.
Quand l'ascenseur s'ouvrit enfin sur le grand hall de l'immeuble, Stéphane Drouin se dirigea vers la sortie, de plus en plus étourdi. Le monde vacillait autour de lui.
En le voyant chanceler ainsi, le gardien de nuit se leva de sa chaise.
— Monsieur Drouin ? Quelque chose ne va pas ?
Mais le jeune homme entendit à peine sa voix. Ses poumons, à présent, refusaient de se remplir et il avait l'impression que sa tête allait exploser. Sortir. Une voix hurlait dans sa tête et lui intimait de sortir. Malhabile comme un automate, il parcourut les derniers mètres qui le séparaient de la porte vitrée, puis ses jambes cédèrent sous son poids. Il tomba sur les genoux, incapable de lutter.
Il ne comprenait rien de ce qui lui arrivait. Ce n'était pas un simple vertige. Cela ne pouvait pas être le seul fruit d'une crise d'angoisse. Non. C'était plus grave que ça, bien plus sérieux. Mais quoi ?
Dans un dernier effort il releva la tête. De l'autre côté de la vitre, il lui sembla apercevoir la silhouette d'un homme qui s'appuyait sur une canne. Et il fut certain que l'homme l'observait. Puis son champ de vision se transforma en une palette de couleurs mouvantes et floues.
Stéphane Drouin pensa à sa collègue, à ce qu'ils avaient découvert ensemble. Il se demanda si la vérité pourrait être révélée au public. Car il allait mourir à son tour, c'était une évidence.
Son cœur, soudain, s'arrêta de battre, et il s'écroula lourdement contre la grande paroi de verre. Son visage heurta de plein fouet la surface transparente et l'os de son nez se brisa d'un coup sec. Le corps, inerte, glissa lentement avant de s'immobiliser contre le sol. Au-dessus de lui, une traînée de sang s'écoulait doucement qui dessinait les méandres sinueux d'une rivière.
Les cathédrales du vide
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