94.
— Pouvez-vous me dire dans quelle chambre se
trouve monsieur Umbert ?
Willy Vlaeminck était arrivé au petit matin dans la
ville de Macas.
Retrouver la piste de Mackenzie avait demandé un
peu d'astuce et beaucoup de chance. Dès que les analyses du poison
neurotoxique l'avaient mis sur la piste de l'Amazonie – où se
trouvaient les grottes de Los Tayos, l'une des sept entrées de la
Terre Creuse – il avait entrepris d'éplucher une à une les
réservations sur les vols pour Quito et Guayaquil, les deux
aéroports internationaux de l'Équateur. Tandis qu'il cherchait le
nom de l'agent français, il était tombé sur celui d'Iris Michotte.
Comme il avait étudié la biographie de Mackenzie en profondeur pour
le recruter, le nom lui avait tout de suite évoqué quelque chose.
Il s'était souvenu qu'il s'agissait de la collègue et meilleure
amie de l'analyste. Mais pourquoi était-elle partie seule ?
Mackenzie n'était enregistré nulle part. Cela ne tenait pas debout.
Il avait alors eu la bonne idée de procéder à une seconde
vérification : l'agent français avait peut-être utilisé une
identité fictive de la DCRI. Par chance, le SitCen en possédait une
liste, incomplète, certes, mais récente. Là, surprise : ce
n'était pas un, mais trois faux passeports qui avaient été utilisés
et, bizarrement, pas sur le même vol que Michotte, mais sur le
suivant.
En interrogeant la compagnie aérienne, il avait
trouvé l'explication : Iris Michotte n'était jamais montée à
bord du premier appareil. Il en avait déduit qu'elle avait d'abord
eu l'intention de se rendre seule à Quito – peut-être
avait-elle espéré reprendre l'enquête à son compte –
puisqu'elle était finalement partie sur le vol suivant avec
Mackenzie et une tierce personne, leur ami Zalewski,
probablement.
Suivre leur piste en Équateur avait été moins
compliqué qu'il ne l'avait craint ; quelques heures d'enquête
dans la capitale avaient suffi. En utilisant l'un des faux
passeports, au nom d'Umbert, ils avaient loué une voiture et retenu
deux chambres d'hôtel dans la petite ville de Macas. Dans la
précipitation, ils n'avaient pas pris d'énormes précautions pour
effacer leurs traces. L'urgence primait sans doute.
Ainsi, Vlaeminck avait roulé toute la nuit pour
rejoindre au plus vite la province de Morona-Santiago. Il était
épuisé. Par chance, le café n'était pas une denrée rare dans cette
région du monde.
— Chambre 32, répondit le
réceptionniste.
L'agent du SitCen avait de bonnes notions
d'espagnol, et malgré le fort accent local de son interlocuteur, il
parvenait à se débrouiller.
— Est-il dans sa chambre en ce
moment ?
L'homme se retourna et jeta un coup d'œil au
tableau où les clients étaient censés laisser leurs clefs en
sortant.
— Je crois, oui. La clef n'est pas là. Vous
voulez que je l'appelle ?
— Non. Merci, je vais monter le voir. Nous
avons rendez-vous.
Voyant qu'il avait affaire à un Occidental,
l'employé de l'hôtel ne trouva pas la chose suspecte et lui fit
signe de passer, un sourire aux lèvres. L'agent belge emprunta
l'escalier et monta au troisième étage.
Toute la matinée, il avait essayé de joindre
Mackenzie sur son portable, en vain. Le silence du Français n'était
toutefois pas étonnant ; depuis le début, il n'avait cessé de
se méfier du SitCen. Mais Vlaeminck espérait qu'il pourrait
éveiller son intérêt en lui exposant ses suspicions.
Tout en traversant le pallier, il regarda les
numéros inscrits sur les portes successives, puis s'arrêta devant
la chambre no32.
Il hésita un instant. Il avait pris beaucoup de
risques, en venant ici. Il jouait peut-être même sa carrière. Il
espérait seulement qu'il n'avait pas tort de vouloir faire
confiance au Français, malgré sa réputation exécrable.
Vlaeminck frappa trois coups à la porte. Aucune
réponse. Il frappa encore. Toujours rien.
— Mackenzie ! Ouvrez ! C'est l'agent
Vlaemink, du SitCen ! J'ai des informations à vous
donner…
Pas un bruit.
Le Belge poussa un soupir. Rebrousser chemin ?
Non. Il avait fait un trajet trop long pour abandonner maintenant.
Il essaya de tourner la poignée. La serrure n'était pas fermée.
Aussitôt, il plongea la main dans sa veste, prit le revolver dans
son holster et entra prudemment.
La chambre était plongée dans le noir. Vlaeminck
serra les dents et s'avança lentement, l'arme en joue.
— Il y a quelqu'un ?
La lumière du couloir ne suffisait pas à éclairer
toute la pièce mais, quand ses yeux s'habituèrent à la pénombre, il
lui sembla distinguer une forme sur le lit. Les battements de son
cœur s'accélérèrent. Il n'était pas un homme de terrain ; ou
il ne l'était plus, en tout cas. Cela faisait des années qu'il
n'avait pas eu à affronter ce genre de situation. D'une main
hésitante, il chercha l'interrupteur et l'alluma.
Le spectacle qu'offrit alors la chambre lui donna
immédiatement un haut-le-cœur. Il plissa les yeux en poussant un
grognement écœuré et fit quelques pas en arrière.
Étendu au milieu du lit, les bras en croix, le
cadavre d'une femme baignait dans des draps maculés de sang. Le
corps criblé de balles, elle avait l'os du front éclaté en deux et
des lambeaux de chair et de cervelle étaient répandus autour de son
crâne.
Vlaeminck avala sa salive et porta la main devant
la bouche, au bord du malaise. Puis il releva la tête. Une feuille
de papier avait été scotchée de travers sur le mur, juste au-dessus
de la morte. Elle portait une phrase écrite au marqueur.