102.
Iris aperçut la lueur vacillante d'une torche qui
brûlait à l'intérieur d'une petite maison de pierre. Elle sentit
les battements de son cœur s'accélérer. Pas de doute. C'était là
que son frère s'était réfugié avec les Indiens.
Elle accéléra le pas.
Elle n'était plus qu'à quelques mètres quand,
soudain, un homme surgit derrière elle et l'immobilisa d'une clef
de bras qui lui enserra la gorge.
Elle commença à se débattre, crut reconnaître un
indien Shuar, puis une voix s'éleva devant elle. La voix de son
frère.
— Arrêtez ! C'est ma sœur !
L'homme derrière elle relâcha lentement ses muscles
et la libéra.
— Je ne vous ai pas reconnue, expliqua-t-il en
espagnol d'un air désolé.
Mais Iris ne répondit pas. Elle s'en moquait. Une
seule chose comptait : Alain était là, devant elle, bien
vivant. Les yeux emplis de larmes, elle se jeta vers son frère et
le serra dans ses bras de toutes ses forces. Ils restèrent ainsi un
long moment, l'un contre l'autre. Lorsqu'elle le regarda enfin,
elle vit sur le visage d'Alain un air qu'elle ne lui avait pas
connu depuis des années. Le regard d'un enfant qui vient de
connaître la plus grande frayeur de sa vie et qui cherche dans le
sourire de sa sœur le réconfort, l'assurance, comme une ancre qui
le ramène en territoire familier.
— Iris…
— Ça va, petit frère ?
— J'ai bien cru que j'allais y passer…
— Ils ne t'ont rien fait, dis-moi ?
— Ça va.
Iris relâcha son frère et l'inspecta de la tête aux
pieds. Il avait l'air épuisé, mais n'était visiblement pas
blessé.
Elle se pencha sur le côté et aperçut à l'intérieur
de la maison les trois hommes que les Indiens Shuar retenaient
prisonniers.
Elle fut certaine de reconnaître l'un d'eux :
Mark Roberts. L'héritier de l'empire Roberts.
Le sourire sur son visage s'effaça et fit place à
une grimace de dégoût. Elle fit quelques pas en avant, dévisagea
l'homme, les mains liées devant lui par une corde.
— Pour l'argent, dit-elle avec dégoût. C'est
pour l'argent que vous avez fait tout ça.
L'homme ne répondit pas, les yeux baissés, il
ressemblait lui aussi à un enfant.
— Vous avez enrobé tout ça derrière un décor
fallacieux, fait de mysticisme de bazar, pour fédérer autour de
vous toute une bande de crétins, de la main-d'œuvre bon marché.
Mais au fond, la seule chose qui vous intéressait, comme toujours,
c'était l'argent. Comme si vous n'en aviez jamais assez.
Elle chercha un soupçon de dignité dans le regard
de Roberts puis, n'y tenant plus, lui décocha une gifle magistrale
dont la violence n'avait d'égale que l'angoisse qu'elle avait
éprouvée au cours des derniers jours.
La tête de l'homme d'affaire fut projetée sur le
côté et heurta le mur derrière lui. Il poussa un cri de douleur et
se laissa tomber par terre, terrorisé.
Les Indiens autour d'eux lui adressèrent un regard
perplexe.
Iris observa un instant cet homme lâche, cupide et
indigent, elle éprouva un mélange d'écœurement et de pitié, puis
elle haussa les épaules et retourna auprès de son frère.