88.
Le premier soir, l'ayant brisé en tentant de le
déloger, je ne remontai que la première moitié du mystérieux
cristal à la surface. Je le cachai dans mes affaires et l'emportai
chez moi en secret, encore ébranlé par l'incroyable découverte que
m'avaient fait faire les carnets de Villard de Honnecourt.
Je le conservai quelques jours sans en parler à
personne, pas même à ma douce Pernelle. J'avais l'impression
d'avoir accompli une sorte de méfait, un vol, et je n'osai m'en
confier.
Je dois le concéder ici, ce petit morceau de
cristal qui trônait dans ma cave, rue de Montmorency, devint
rapidement une obsession. Au début, j'éprouvai le besoin d'aller le
voir deux ou trois fois par jour, puis ce fut toutes les heures et
bientôt il me devint insupportable de m'en défaire, ne serait-ce
qu'un instant.
Pernelle finit par se douter de quelque chose et je
me décidai à lui raconter toute l'histoire. D'abord, elle refusa de
me croire, puis comme je lui montrai l'objet précieux, elle fut
aussi subjuguée que moi par sa beauté et ses étonnantes
propriétés.
Ce fut elle, au final, qui me persuada de montrer
le cristal à quelqu'un. Conscient des rumeurs et des jalousies que
cela pourrait entraîner, je m'y refusai d'abord mais, devant son
insistance, décidai, s'il fallait vraiment me livrer, de le faire
au seul homme qui avait toute ma confiance : Jean, qui n'avait
pas encore été apanagé duc de Berry, mais qui était déjà l'un de
mes plus fidèles et fortunés clients.
Un soir qu'il m'avait convoqué pour rédiger quelque
document, je lui apportai l'échantillon en lui faisant promettre de
ne jamais révéler son origine. Il promit et je sentis aussitôt, à
sa façon de me regarder, que les choses entre nous avaient changé.
Plus jamais il ne me considérerait de la même manière, et je crois
bien que je le regrettai.
Quelques jours plus tard, Jean me fit convoquer
chez lui. Espérant qu'il avait seulement besoin de mes talents de
maître écrivain, je me rendis dans son château avec mes plumes, mon
encre et quelques parchemins.
Quand j'arrivai, une surprise de taille
m'attendait.