95.
Du bloc que j'ai trouvé dans le cœur de Paris, il
ne subsiste aujourd'hui plus rien, et seuls Galéas Visconti et
moi-même possédons des échantillons du précieux minéral. Ce que le
lombard en fit, et où se trouve son spécimen aujourd'hui, je
l'ignore. Sans doute est-il perdu, délaissé, au milieu des
multiples trésors dont jouit cette noble famille. Peut-être cela te
paraît-il triste, mais il me semble, à moi, que c'est bien mieux
ainsi.
En ce soir du 21 mars 1417, Pernelle est morte et
moi, à l'âge honorable que j'ai atteint, je ne vais pas tarder à la
rejoindre, sans grand remord. Nous n'aurons laissé derrière nous
aucun enfant, aucune descendance. Depuis longtemps toutefois, j'ai
préparé mon héritage. Les choses sont fort simples. Tous nos biens,
pierres et liquidités, iront à Margot la Quesnel. Tous, sauf un. Le
cristal. À ma mort, celui-là ne reviendra à personne en
particulier, mais à l'humanité tout entière.
Depuis le jour où je suis descendu dans le puits,
la dernière phrase de Villard de Honnecourt ne cesse de me hanter.
« Il est des portes qu'il vaut mieux n'ouvrir jamais. »
Plus le temps passe et plus son importance me saisit. Cet homme,
comme le prouvent ses écrits, était un érudit, un sage
– oserais-je le dire, un initié ? – et il me semble
qu'il n'a pas parlé en vain. Le cristal, j'en suis à présent
convaincu, aurait dû rester à jamais caché là où il était, préservé
de la concupiscence et de la convoitise. Avec le recul, des années
plus tard, je regrette encore de l'avoir montré au Duc de
Berry.
Il me paraît donc de mon devoir de ne le léguer à
personne.
Toutefois, ce secret me pèse. À l'heure de ma mort,
n'ayant pu m'en confier à un prêtre, il alourdit ma conscience et
je ressens le besoin de me livrer, sinon à mes contemporains, au
moins à la postérité, en espérant que les hommes de demain auront
acquis la sagesse qui leur permettra de saisir l'importance de cet
artefact.
Ce soir, donc, je placerai tout ce qu'il me reste
du cristal dans un coffre, accompagné de cette lettre, et je
dissimulerai le tout dans une poutre de la rue de Montmorency. Et
puisque j'ai décidé de me débarrasser, avant d'embrasser la
camarde, de ce secret qui me hante, je dois maintenant te révéler
la dernière pièce de l'énigme de Villard.
Car, vois-tu, il te manque un élément, cher
lecteur. Un élément capital.
Contrairement à ce que je t'ai dit jusqu'à présent,
et contrairement à ce que retiendra vraisemblablement l'Histoire,
les mystérieuses pages du manuscrit, celles qui renferment le
secret du bâtisseur, n'étaient pas au nombre de six.
Non.
Il existe une septième page.