24.
Homme prévoyant, j'ai toujours dépensé mon argent
avec mesure et raison. À force de copier actes et titres pour mes
clients, j'ai vite compris l'importance de l'immobilier, la valeur
des pierres. Ainsi, dès que j'ai pu le faire, j'ai acheté plusieurs
maisons, d'abord petites, puis de plus en plus grandes, afin de les
restaurer et d'en tirer par la suite quelque profit. Au fil des
ans, j'ai acquis de nombreuses demeures. Certaines m'ont en outre
donné de belles vignes. C'est principalement de ces placements que
j'ai tiré cette richesse soi-disant inexpliquée que beaucoup
m'envient.
En 1370, j'ai épousé dame Pernelle, qui avait été
veuve par deux fois et possédait elle aussi une certaine fortune. À
nous deux, nous fûmes donc à la tête d'un patrimoine que l'on
continue, à tort, de regarder avec suspicion.
Ce que mes détracteurs oublient trop souvent, c'est
que cette fortune m'a également permis de faire œuvre de
bienfaisance. Pernelle, que j'ai aimée plus que tout au monde,
partageait avec moi le sens de la charité et nous avons beaucoup
donné aux églises et aux pauvres. À sa mort, il y a près de vingt
ans, tous ses biens sont revenus à l'Église et jamais je n'ai voulu
réclamer d'elle quoi que ce fût. Quand je mourrai à mon tour, et
bientôt d'ailleurs, Margot la Quesnel, ma brave chambrière,
héritera d'une grande partie de mes biens et pourra ainsi élever sa
fille Colette, qui s'est montrée si bonne avec moi.
Si mes maisons m'ont apporté la fortune, elles
m'ont aussi permis d'offrir le gîte aux plus démunis. À l'heure où
je vous parle, d'ailleurs, je me suis réfugié à Paris dans la cave
de ma belle demeure de la rue de Montmorency. Or j'ai logé dans
cette maison quatre familles dans le besoin. Et il faut que je te
dise, lecteur, leur bonheur me donne bien plus de satisfaction que
tout l'or du monde.