17.
Ma légende, tu l'as vu, parle
d'or et d'un mystérieux manuscrit. Si je ne suis en rien
l'alchimiste qu'on prétend, cher lecteur, cela ne signifie pas,
pour autant, que l'or n'eût joué toute ma vie aucune importance et
que je ne fusse tombé, en effet, sur un mystérieux manuscrit. Au
contraire. L'un et l'autre furent bien présents.
Laisse-moi donc, si tu le veux
bien, te raconter de quelle manière…
Je suis né à Pontoise le
dix-septième jour d'avril de l'an 1340, ce qui me donne aujourd'hui
soixante-seize ans, et j'en aurai, dans moins d'un mois,
soixante-dix-sept. Peu d'hommes, à Paris, ont atteint un aussi bel
âge ; miracle qui, tu t'en doutes, fournit à ceux qui parlent
de moi comme d'un sorcier la matière dont ils ont besoin pour leur
mystification.
Certes, il m'aura fallu
survivre à la peste de 1348 comme à l'interminable guerre qui nous
oppose aux Anglais depuis la nuit des temps ; certes j'aurai
connu la honte de la défaite de Poitiers en 1356, essuyé les
désordres parisiens provoqués par l'opposition entre Armagnacs et
Bourguignons pendant une bonne partie de mon existence… Mais, somme
toute, si je suis encore vivant à cet âge, c'est que j'ai eu une
vie saine, heureuse et relativement calme, voilà tout.
Ayant étudié à Paris sur les
traces de mon frère aîné, j'ai commencé ma carrière en ouvrant une
modeste échoppe dans la rue dite des Escrivains… Nous étions
plusieurs copistes-libraires à nous partager la rue ; ainsi,
les enseignes de Jean Harengier et d'Ansel Chardon, tous deux de
chers amis, jouxtaient la mienne, mais il y avait alors à Paris
assez de travail pour bien plus d'entre nous encore. Nous vivons
une époque où les gens ne prennent ni la peine ni le temps
d'apprendre à lire et écrire, ce qui me désole et m'enrichit à la
fois…
Après deux ans de métier
pendant lesquels je m'initiai auprès d'un maître à l'art subtil de
la calligraphie, le nombre de mes clients s'accrut en même temps
que ma réputation. Ma clientèle devint de plus en plus aisée, de
nombreux nobles, tels le bon Jean, duc de Berry, s'offrirent mes
services, me commandant des ouvrages de plus en plus complexes, de
plus en plus luxueux. La qualité de mes travaux et mes relations
avec la famille royale me valurent d'obtenir, en 1368, le poste de
libraire-juré de l'Université de Paris. Ainsi, ne dépendant plus de
la juridiction du prévôt mais de l'Université, je fus exonéré de
taille et dispensé de gardes de nuit. Je pus rapidement acheter, à
quelques pas de mon échoppe, la maison qui est à l'angle de la rue
Marivaux et de la rue des Escrivains, et où il m'arrive encore de
séjourner aujourd'hui. J'y fis construire un atelier spécialisé
dans la création de manuscrits enluminés, recrutai assistants et
apprentis à qui je livrai mon savoir sur la façon de préparer le
vélin, l'encre et les couleurs, la manière de copier le texte,
l'art des lettrines, de la peinture, de l'enluminure, de la
reliure…
Tu commences à comprendre,
cher lecteur, comment l'or en vint à jouer un rôle important dans
ma vie. Car en effet il me fallut, pour mon métier, de grandes
quantités de ce précieux métal. Je ne saurais compter le nombre de
fermoirs d'or que je fabriquai au cours de ma carrière, le nombre
de lettres d'or que je peignis de ma propre main…
Pourtant, cet or, jamais je ne
le produisis par miracle ou par le truchement de je ne sais quelle
opération alchimique. Non. Cet or, il me fallut l'acheter, tout
simplement, dans la rue Quinnenpoit, dite des
orfèvres.
Tu te demandes sans doute,
ainsi que le font mes détracteurs, comment je fis pour acheter de
telles quantités d'or et d'où me venait la fortune
nécessaire ?
Sois patient, lecteur. Je vais
te le dire, et tu verras que cela n'a rien à voir avec l'alchimie.
Et je te parlerai ensuite de ce mystérieux manuscrit et de
l'incroyable découverte que je fis grâce à lui… Et alors seulement
tu pourras dire que tu connais, toi, la véritable histoire de
Nicolas Flamel.