113.
Mackenzie et Vlaeminck atterrirent à Bruxelles deux
jours plus tard.
Pendant le trajet du retour, Ari n'avait pas
prononcé un mot, sans doute parce qu'aucune parole n'aurait pu
exprimer ce qu'il ressentait. Encore sous le choc, il était accablé
physiquement aussi bien que moralement. Il y avait là quelque chose
de l'étourdissement caractéristique des fins d'enquêtes, entre
baby blues et petite mort, une sorte de
vertige et de déception mélancolique. La tête collée au hublot, les
yeux perdus dans le vague, il avait passé le vol à voyager dans ses
souvenirs, ses regrets, ses angoisses et ses espérances.
Après l'atterrissage, Vlaeminck l'avait invité à se
lever alors qu'il était encore perdu dans ses pensées.
Une section d'Interpol était venue chercher Roberts
à la descente de l'avion pour le conduire en maison d'arrêt, en
attendant que l'imbroglio judiciaire soit résolu entre le SitCen et
la police française. Cela risquait d'être laborieux… Mackenzie le
savait, l'instruction durerait des années. Procureurs, juges et
avocats allaient se livrer une bataille interminable dans une
gigantesque confusion, très probablement médiatisée à outrance, et
il y avait fort à parier que toute la vérité ne serait jamais
complètement révélée.
Krysztov était encore à l'hôpital de Macas. Ses
jours n'étaient plus en danger et il serait bientôt rapatrié à
Paris. Iris Michotte et son frère Alain, quant à eux, étaient
directement rentrés en France, où le jeune homme allait recevoir un
soutien psychologique approprié. Ensuite, ils partiraient ensemble
au soleil, pour quinze jours de repos mérités.
Mackenzie et Vlaeminck n'étaient pas rentrés
ensemble par hasard. Ils avaient une dernière chose à faire tous
les deux. Cela faisait partie du pacte qu'ils avaient passé en
Équateur. Et au fond, ils n'étaient pas mécontents, ni l'un ni
l'autre, de partager ces moments. Comme deux rescapés d'une
catastrophe, ils éprouvaient le besoin de se serrer les coudes,
pour se rassurer et se prouver à eux-mêmes que ce qu'ils avaient
vécu était bien réel, malgré l'absence de témoins. En outre, le
déroulement des derniers jours leur avait inspiré un respect
réciproque qui se transformerait peut-être plus tard en
amitié.
Quelques heures à peine après que l'avion se fut
posé, ils se rendirent directement, bille en tête, à l'accueil de
l'aile nord du bâtiment Justus Lipsius.
Profitant de son accréditation du SitCen, l'agent
belge demanda à la réception qu'on lui fournisse le registre des
entrées dans le bâtiment à la date du 15 juillet. Si Roberts
ne lui avait pas menti, il s'était passé quelque chose de décisif
ce jour-là, un événement qui avait entraîné la rupture des liens
entre le Secrétaire général adjoint de l'Union européenne, le
ministre de l'Intérieur français et les dirigeants de la
Summa Perfectionis.
La première chose à confirmer était la présence, ou
non, du SGA dans les locaux de l'Union à cette date. Si Vlaeminck
ne pouvait avoir accès à l'emploi du temps du haut dignitaire
européen, il pouvait toutefois consulter le livre des entrées et
sorties.
Après avoir effectué quelques recherches, l'agent
de sécurité fronça les sourcils.
— Que se passe-t-il ? demanda Vlaeminck,
inquiet.
— Je ne comprends pas… Je n'ai aucune donnée
ce jour-là.
— Comment ça ? On les aurait
effacées ?
— Non. Elles sont inaccessibles. Attendez, je
vais vérifier quelque chose…
L'homme décrocha son téléphone, composa un numéro
et expliqua la situation à son interlocuteur. Il hocha plusieurs
fois la tête, remercia la personne et raccrocha.
— Je… Je suis désolé, expliqua-t-il d'un air
embarrassé, visiblement, ces données ont été classées Secret
Défense.
Le visage de Vlaeminck s'assombrit. Il s'apprêta à
protester, mais Ari l'attrapa par l'épaule et lui fit signe de le
suivre.
— Inutile de faire un scandale et d'attirer
l'attention, murmura-t-il. Au fond, nous avons une première
confirmation : il s'est bien passé quelque chose de suspect ce
jour-là.
— Oui… Mais quoi ?
— Il va falloir trouver un autre moyen.
Le Belge réfléchit un instant.
— Il y a peut-être une solution…
— Laquelle ?
— Suivez-moi.