110.
— On dirait qu'une tempête se prépare, dit
Iris en relevant le col de sa veste. Je ne savais pas qu'il pouvait
y avoir autant de vent dans la jungle amazonienne !
— Ça arrive, répliqua Vlaeminck. Vous savez,
El Niño prend naissance au large de
l'Équateur. Ce phénomène détourne parfois les tempêtes tropicales
de leur route habituelle…
En attendant qu'un camion vienne les chercher
jusqu'ici, avec à son bord le médecin de la communauté, les Indiens
avaient allumé un petit feu au milieu des ruines. La lumière des
flammes, bouleversées par un vent de plus en plus fort, dansait sur
les parois de pierre et y faisait de grands dessins abstraits qui
semblaient venir tout droit du monde inca. Il régnait autour de la
bâtisse une ambiance étrange.
D'un côté, Iris et Alain reprenaient lentement
leurs esprits. Soulagés mais choqués, ils avaient du mal à prendre
conscience que tout était bien fini, pour eux en tout cas. De
l'autre, les Indiens lançaient des regards furieux à Roberts,
recroquevillé dans un coin de la bâtisse, les mains nouées dans le
dos. Dans ses yeux se lisait la peur, mais aussi la certitude que,
sans la présence de Vlaeminck, les Shuars lui auraient probablement
réservé un sort bien plus terrible.
L'agent du SitCen, après s'être assuré qu'Alain
Michotte n'avait aucune blessure sérieuse, entra dans la cabane et
se dirigea vers le Britannique.
— Weldon vous a abandonné, dit-il en le
regardant droit dans les yeux. S'il s'échappe, vous savez comment
les choses vont se passer : vous allez prendre pour deux.
Alors dites-moi où vous pensez qu'il va se diriger.
— Je n'en sais rien.
— Faites preuve d'imagination.
— Comment voulez-vous que je sache ? Il
va s'enfuir. Il ne fera jamais l'erreur de repasser dans un
bâtiment de l'INF. S'il fait vite, il va probablement aller
récupérer ses affaires, le cristal, son ordinateur, et après, vous
ne le trouverez jamais…
— Où sont ses affaires ?
Roberts ferma les yeux. Il revoyait les corps des
scientifiques, alignés devant le lac.
— Où ? répéta Vlaeminck en haussant le
ton.
— Nous avons établi un petit campement au nord
d'ici.
— À quelle distance ?
— Je ne sais pas… Une dizaine de kilomètres,
pas plus.
— Donnez-moi une indication, quelque
chose !
Le Britannique se mordit les lèvres. Il lui sembla
entendre le bruit des cadavres que l'on jetait à l'eau.
— Il y a un lac. Sur la rive ouest.
Vlaeminck fit quelques pas de côté et posa son sac
à dos sur ses genoux. Il en sortit une carte.
— Nous vous tenons, cette fois-ci, dit-il tout
en consultant le plan. Vos soutiens politiques ne suffiront plus à
vous protéger l'un et l'autre.
Roberts releva la tête. L'expression sur son visage
avait changé. On y lisait à présent une touche d'ironie.
— Nos soutiens politiques ? Mais de quel
soutien parlez-vous ?
— Allons, Roberts. Ça sert plus à rien,
maintenant. On sait très bien que le ministre de l'Intérieur
français vous a couverts depuis le début. C'est lui qui a fait
classer Secret Défense le tunnel à Paris, et c'est aussi lui qui a
fait pression pour clore l'enquête de Mackenzie…
— À l'époque, peut-être. Mais aujourd'hui, le
ministre ne nous protège plus du tout. Il veut notre peau. Vous
faites semblant ? Ne me dites pas que vous n'êtes pas au
courant…
Vlaeminck fronça les sourcils.
— Pourquoi le serais-je ?
— Vous êtes un agent du SitCen, n'est-ce
pas ?
— Oui.
— Alors, vous êtes forcément au courant. Vous
me prenez pour un idiot.
— Au courant de quoi ? s'emporta
Vlaeminck.
Roberts scruta, circonspect, le visage de l'agent
Belge. Il comprit que son interlocuteur ne savait réellement pas de
quoi il parlait.
— Le ministre français s'est allié avec le
Secrétaire général adjoint de l'Union européenne. Votre
patron.
Une moue sceptique se dessina sur le visage de
Vlaeminck.
— Comment ça, allié ?
— Écoutez, je ne sais pas dans quelle mesure,
ni pourquoi, ni comment, tout ce que je sais, c'est à quelle date.
Le 15 juillet. Et depuis, ils nous ont lâchés. Sans ça, vous
ne seriez pas ici aujourd'hui.
Vlaeminck fouilla dans ses souvenirs. Le
15 juillet. De mémoire, il ne s'était rien passé de spécifique
ce jour-là. Il allait falloir vérifier. Pour l'instant, il y avait
plus urgent.
Il replia la carte sur ses genoux, se releva et
prit son talkie-walkie.