11.
L'homme, grand et mince, portait un costume en
toile légère, de fins gants de cuir noir et avait une démarche
élégante, ponctuée un pas sur deux par le bruit de sa belle canne
en bois surmontée d'un pommeau d'argent sculpté. Cet objet désuet
lui donnait un air d'un autre temps. Avec ses cheveux blancs
coiffés en brosse, il avait un physique sans âge : il pouvait
paraître la quarantaine mais avait peut-être dix ans de plus.
Le regard droit, les gestes sûrs, il se mit en
marche derrière Sandrine Monney, la suivant à une quinzaine de
mètres tout au plus.
Les réverbères dessinaient des ronds de lumière
blanche sur le trottoir brillant et la lune, derrière les nuages,
donnait au ciel une pâle lueur bleutée. Il n'y avait déjà plus de
bruit à cette heure-là, et l'on entendait seulement le claquement
des pas de la grande et svelte femme qu'il suivait en
silence.
De loin, il admirait son allure gracieuse. Dans le
tram déjà, il avait eu tout le temps d'apprécier ce corps
harmonieux, cette poitrine plus que généreuse, cette fine taille et
ces longues jambes gainées de noir, croisées sous une jupe serrée.
À présent, malgré l'obscurité, il devinait l'arrondi de ses fesses,
la fermeté de ses cuisses. Et ici, dans les ombres d'une rue
déserte, il aurait aimé saisir ses hanches, caresser son dos, ses
épaules…
La silhouette de Sandrine Monney disparut soudain
au coin d'un immeuble. L'homme continua calmement vers
l'intersection et s'engagea à son tour dans le passage étroit qui
s'enfonçait au cœur du quartier pavillonnaire. Il avança dans la
pénombre sans changer le rythme de sa marche, comme s'il
s'appliquait à conserver toujours la même distance entre sa proie
et lui.
Il venait d'arriver au milieu de la ruelle quand la
femme sembla remarquer sa présence. Il la vit jeter un coup d'œil
discret par-dessus son épaule et augmenter légèrement sa
cadence.
L'homme releva aussitôt sa canne, la prit par le
milieu et accéléra le pas à son tour.
Elle ne pouvait pas lui échapper.