54.
Erik et Caroline montèrent prudemment les vieilles marches en pierre qui s'élevaient devant eux, s'éclairant à l'aide de leur lampe torche. À mesure qu'ils progressaient, l'air devenait plus chaud et humide, le silence et l'obscurité plus oppressants.
— On est où, Erik ?
— Je n'en ai pas la moindre idée. Quelque part en Amérique du sud…
Dès leur recrutement, le Docteur les avait prévenus que la localisation exacte du complexe devait rester secrète et ne leur serait jamais révélée. En dehors de Weldon, personne, dans tout le centre, n'était en mesure de dire où il se trouvait. Les scientifiques de la Summa Perfectionis étaient venus jusqu'à Bogotá, en Colombie, sur un long-courrier. Puis ils avaient pris un avion privé dont ils ignoraient la destination. Après un vol de trois heures, hublots fermés, ils avaient atterri dans un aérodrome sans nom. De là, ils étaient montés à l'arrière de camionnettes aux vitres obstruées et avaient roulé pendant quatre heures sans jamais voir au dehors. Le trajet ne leur avait offert qu'un seul indice : les deux dernières heures de route s'étaient faites sur des chemins de terre cahoteux. Puis on leur avait bandé les yeux et ils avaient marché encore une dizaine de minutes, en tournant de nombreuses fois et en descendant plusieurs escaliers.
Quand enfin on leur avait retiré les foulards noirs, ils étaient à l'intérieur du complexe qui allait devenir leur cadre de vie pour les prochains mois.
Erik avait compté les heures cumulées de voiture et d'avion et en avait déduit qu'ils pouvaient se trouver à plusieurs centaines de kilomètres de Bogotá, peut-être plus de mille. Cela laissait envisager beaucoup de pays. Colombie, Venezuela, Brésil, Équateur, Pérou…
— Dépêche-toi, Caroline. Ils peuvent arriver d'un moment à l'autre.
Erik tira sa femme par la main. Ce faisant il essayait en réalité de la rassurer ; et de se rassurer lui-même. Ils continuèrent de monter en faisant attention de ne pas glisser sur la surface usée et humide des vieilles pierres. La présence d'un escalier aussi ancien à la sortie d'un complexe aussi moderne avait quelque chose d'intrigant, mais ce n'était pas le moment d'émettre des suppositions. Ils auraient bientôt une réponse : une porte en bois était apparue en haut de l'escalier, à la lueur de leur lampe torche.
— Regarde. Ça doit être la sortie.
Ils accélérèrent le pas et franchirent les dernières marches. Erik fit coulisser le verrou rouillé et poussa le vieux montant délabré.
— Qu'est-ce que c'est que ça ? marmonna-t-il, les yeux écarquillés, en découvrant le spectacle qui s'offrait à eux dans un jeu d'ombre et de lumière.
Caroline se colla contre lui.
— C'est… C'est une église ?
Erik marcha encore quelques pas, hébété. Puis il se tourna vers son épouse.
— C'est une cathédrale.
Au-dessus d'eux, balayé par les discrets rayons d'une lune dorée, s'élevait un majestueux transept gothique, partiellement en ruine et envahi de plantes tropicales. Une vision à la fois féerique et angoissante.
— C'est… C'est incroyable ! murmura Caroline, perplexe. Tout ce temps… tout ce temps nous vivions dans les sous-sols d'une cathédrale ?
Erik ne répondit pas. Il n'y avait pas de réponse à donner, d'ailleurs. Comment aurait-il pu expliquer cela ? C'était tellement inattendu.
Mais ils ne devaient pas laisser la surprise les retarder. S'ils étaient poursuivis – et c'était plus que probable – chaque seconde comptait. Il attrapa sa femme par le bras et l'entraîna vers la nef.
La lumière de l'astre nocturne se glissait à travers les restes brisés de grands vitraux bigarrés et donnait aux pierres une douce couleur bleutée. Le sol était jonché de blocs de pierres brisés, de statues et de meubles renversés sur lesquels couraient les tentacules sinueux de mille plantes grimpantes. Toute la verticale de la longue allée était traversée par des lianes entortillées dont le sommet se perdait dans l'obscurité de la voûte.
— Sortons d'ici, chuchota Caroline d'une voix qui trahissait son angoisse.
Ils descendirent la nef d'un pas rapide, contournèrent les multiples débris et parvinrent enfin devant la gigantesque double porte qui fermait la cathédrale. Un Christ d'acier, mains et pieds cloués sur une immense croix suspendue au-dessus d'eux, semblait les dévisager d'un regard accusateur. Erik attrapa l'un des deux battants de bois et tira dessus de toutes ses forces pour l'entrouvrir. Il jeta un coup d'œil et se glissa vers l'extérieur, suivi de près par Caroline.
Sous leurs yeux écarquillés, les contours imprécis d'une immense forêt se dessinèrent dans l'obscurité. Bien sûr, au vu de la végétation qui avait gagné l'intérieur de la cathédrale, ils s'étaient attendus à découvrir au dehors un spectacle naturel. Mais pas une jungle si vaste et luxuriante. Au-delà du parvis de pierres qui, lui, était encore vaguement épargné par la dense végétation, se dressaient par milliers arbres et plantes sauvages.
— Erik, tu peux m'expliquer ce qu'une cathédrale gothique fait au milieu de la jungle ? Dis-moi que je rêve…
— Si c'est le cas, je fais exactement le même rêve que toi, mon amour.
— Je ne comprends pas… C'est tellement surréaliste.
— Oui. Mais ce qui m'inquiète, moi, c'est que si nous sommes bien au milieu de la jungle, je ne suis pas sûr que nous soyons en mesure d'en sortir.
Les cathédrales du vide
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