101.
— Vous ! Vous êtes un malade ! s'exclama le Docteur qui, soudain, avait perdu toute son assurance. Je vais tous vous faire abattre !
— Ça risque d'être plus compliqué que prévu…
Ari raccrocha, enfonça le téléphone dans sa poche et claqua des mains.
Comme par magie, une à une, des dizaines de torches s'allumèrent tout autour de l'esplanade. Les visages grimés d'une cinquantaine d'Indiens Shuar apparurent dans la lumière vacillante des flammes. Armés d'arcs, de sarbacanes et de lances, ils ressemblaient à des guerriers surgis d'un autre temps.
Ari frissonna de satisfaction. L'instant avait la douce saveur d'une revanche longtemps attendue.
Aussitôt après la rencontre avec Vlaeminck, il avait eu l'idée de retourner voir le médecin de la Fédération des Communautés Shuars, dans le village de Sucúa. Il lui avait demandé de le conduire auprès des Indiens et de lui servir d'interprète. Vu l'ampleur de l'incendie qui ravageait encore leur forêt, il avait eu peu de mal à les convaincre de lui prêter main-forte. Il n'avait même pas eu besoin de mentir, d'exagérer, ou de promettre quoi que ce fût, mais simplement d'expliquer comment et pourquoi Weldon leur avait volé leurs terres et y avait mis le feu.
Ensemble, ils avaient élaboré une stratégie. Ari devait se rendre sur les lieux de l'échange et, pendant ce temps-là, les Indiens et Vlaeminck devaient trouver un moyen de récupérer l'otage en prenant l'ennemi à revers. Une fois ce dernier en sécurité, ils avaient mis au point un signal : le cri de rapace qui venait de déchirer l'air. Visiblement, les Indiens avaient libéré Alain. Le Docteur n'avait plus la main.
Comprenant qu'il avait été pris à son propre piège, Weldon fit quelques pas en arrière. Aculé, il opta pourtant pour la plus mauvaise solution : la violence.
Sans vraiment viser, il dirigea son arme vers Mackenzie et ouvrit le feu sans sommation. La balle ricocha contre un rocher.
— Planque-toi ! s'exclama Ari en poussant Iris à côté de lui.
Instantanément, les coups de feu éclatèrent de toutes parts et tout le monde entra dans la bataille : les gardes en haut des marches, Vlaeminck sur les remparts, Krysztov depuis sa colonne en retrait… Les Indiens, quant à eux, envoyèrent des volées de flèches.
Une fois à l'abri, Ari prit le talkie à sa ceinture.
— Vlaeminck, faites-moi vite un topo !
— L'otage est en sécurité, répondit le Belge au milieu des détonations. Deux gardes le retenaient dans une petite maison à une cinquantaine de mètres à l'ouest du temple. Nous les avons neutralisés. Vous pouvez rassurer votre amie : son frère va bien. Reste à capturer Weldon. Mais nous ne pouvons pas sécuriser toutes les issues possibles.
— OK. Il ne faut pas le laisser fuir. Je monte. Terminé.
Il se tourna vers Iris.
— Va rejoindre ton frère, il est libre.
Elle leva la tête, son visage illuminé par l'immense soulagement que lui procurait la nouvelle.
— Viens avec moi, Ari. Laisse-les se débrouiller. Alain est en sécurité, c'est le plus important, non ?
— Pour toi, oui. Mais moi, je continuerai tant que je n'aurais pas arrêté Weldon. Je le dois à Paul Cazo.
Elle acquiesça.
— Entendu. Merci, Ari. Merci pour tout. Je suis tellement désolée de toute cette histoire…
— File rejoindre ton frère. On se fera des politesses plus tard.
Elle sourit puis, le dos courbé, s'échappa vers l'ouest.
Ari resta en place pour couvrir son départ. Il tira trois balles en direction du tombeau, à l'aveugle, puis il se précipita vers les escaliers. Profitant de la confusion, il grimpa les marches quatre à quatre. Soudain, une ombre se dessina au sommet, sur la droite. Il aperçut un bref éclat ; le canon d'un revolver pointé vers lui. Un nouvel ennemi, qui était resté caché jusque-là. L'analyste reconnut immédiatement la silhouette.
Borja. L'homme à la canne.
Juste à temps, Ari fit un bond de côté et s'abrita derrière une vieille statue. L'impact de la balle projeta des morceaux de pierre alentour.
Mackenzie resta caché le temps de reprendre son souffle. Il n'était pas dans une position très sûre. Autour, les coups de feu résonnaient et l'on voyait filer des ombres noires sur les murs.
Krysztov avait rejoint l'agent belge sur l'enceinte ouest. Appuyés par les Indiens, ils avançaient en direction de la plateforme supérieure. Les gardes de Weldon, quant à eux, s'enfonçaient lentement à l'intérieur de l'édifice, tout en faisant pleuvoir les balles. Cela faisait longtemps que Le vieux temple inca n'avait pas connu un tel vacarme.
Ari pencha la tête pour jeter un coup d'œil vers le haut des marches : Borja était là, à le guetter, et fit feu instantanément. Aucun doute, cet empoisonneur – dans tous les sens du terme – en avait après lui et personne d'autre. Un défi personnel. Liquider Mackenzie.
Ari s'accroupit derrière la statue, patienta un instant puis fit le tour par l'autre côté. Retourner dans l'escalier était trop dangereux. La voie était complètement exposée. Il étudia rapidement une autre solution pour monter au niveau de son adversaire. En enjambant le mur sur sa droite, il pourrait escalader les terrasses successives jusqu'au bâtiment central sans être vu. Du moins, il l'espérait.
Il rangea son arme dans son holster et entama son ascension. Ses pieds glissaient sur la pente lisse, il dut s'aider de ses mains pour gravir la paroi. S'agrippant aux interstices entre les vieilles pierres, il progressa dans l'ombre, à l'abri des balles. Il arriva bientôt au pied du dernier mur, un peu plus haut que lui, qui donnait sur la partie est de la plateforme. Il dut s'y reprendre à plusieurs fois pour se hisser par-dessus le rempart. D'un geste agile, il roula de l'autre côté et sortit son revolver dans la foulée. Il vit l'homme à la canne à une dizaine de mètres. Ce dernier avait dû l'entendre et venait de se tourner vers lui. Ari, couché sur le ventre, fit feu immédiatement.
Borja reçut la balle en pleine épaule et fut projeté en arrière. Il s'écroula au milieu de la plateforme.
Mackenzie se releva et tira à nouveau, mais son adversaire était dissimulé dans l'ombre. Il le vit soudain se dresser et foncer vers l'intérieur du tombeau, trop vite pour qu'Ari ait le temps de réagir.
À l'autre bout du parvis, il vit Vlaeminck et Zalewski apparaître à leur tour. Le Polonais désigna son talkie-walkie. Ari prit le récepteur à sa ceinture.
— On rentre de ce côté-ci, à toi.
J'aurais préféré le contraire, pensa Mackenzie. C'est Weldon que je veux. Mais si je ne me débarrasse pas de Borja, il va surgir de nulle part quand je ne m'y attendrai pas. Je dois d'abord m'occuper de lui.
— OK. Borja est entré par la porte est. Je vais essayer de le rattraper. On se retrouve à l'intérieur. Terminé.
Ari rangea son talkie, rechargea son revolver et se mit en route dans la direction où était parti son adversaire. La lumière de la lune ne parvenait pas jusqu'à l'intérieur du bâtiment et l'obscurité y était totale. Il n'avait pas de lampe de poche. Impossible d'entrer comme ça. Il fit demi-tour et s'arma de l'une des torches plantées dans la terre.
Il avança prudemment et pénétra dans le tombeau par un couloir étroit, bas de plafond. Il allait falloir être très prudent : avec sa torche, il faisait une cible facile. Mais son adversaire souffrait du même handicap. Il amena la flamme vers le sol et découvrit aussitôt des gouttes de sang sur la surface lisse de la pierre.
Ses doigts se resserrèrent sur la crosse de son revolver, puis il commença à progresser dans le corridor obscur.
Soudain, une ombre traversera le couloir de la gauche vers la droite, à une dizaine de mètres à peine. Il eut le réflexe de tirer mais manqua sa cible. Il accéléra le pas. Une détonation l'interrompit dans sa course ; une balle siffla à quelques centimètres de sa tête.
Il se plaqua contre le mur et jeta sa torche de toutes ses forces dans la direction de son adversaire. Quand elle heurta le sol, l'impact projeta une nuée d'étincelles alentour qui éclairèrent cette partie du corridor. Il distingua nettement Borja, l'épaule couverte de sang.
Ari tira une première balle dans sa direction, puis une seconde. Mais il faisait encore sombre, malgré tout, et il était difficile de viser. En face, son adversaire l'imita. Les deux hommes, comme grisés par le danger, se mirent à courir l'un vers l'autre en vidant leurs chargeurs avec une frénésie barbare.
Mackenzie sentit une immense douleur à l'avant-bras gauche. Brûlure et déchirement. Une balle l'avait frôlé, emportant un bout de peau.
Rapidement, les deux hommes furent à court de munitions. Ils n'étaient plus qu'à quelques pas l'un de l'autre. Ari se jeta sur son ennemi pour tenter de le plaquer au sol. Il estima que l'homme, beaucoup plus âgé que lui, ne devait pas être un adversaire redoutable au corps à corps. C'était compter sans sa canne.
Alors qu'il venait de se jeter en avant, Ari fut saisi en plein vol par un coup violent qui l'atteignit en pleine tempe. Il perdit l'équilibre et roula sur le côté.
À quelques pas, la torche brûlait encore par terre, projetant sur les murs une faible lumière orangée. Mackenzie, un peu groggy, vit alors son adversaire dévisser péniblement le pommeau de sa canne, en extraire une petite fiole et répandre un liquide sur la paume de sa main droite, gantée de cuir. Puis l'homme lâcha sa canne et s'avança vers lui avec un sourire irrationnel. Il y avait dans ses yeux une folie que Mackenzie connaissait bien : celle des hommes pour qui tuer est un plaisir salvateur, une jouissance. Mais surtout, il y avait quelque chose d'anormal dans la façon dont le tueur laissait pendre son bras gauche, comme s'il n'éprouvait pas la moindre douleur alors que la balle, nichée dans son épaule, avait fait des dégâts.
Ari s'appuya sur le mur derrière lui et se releva, prêt à se battre. Il devait à tout prix empêcher l'homme de toucher directement sa peau avec sa main droite. Sinon, c'était la mort assurée.
En garde, tel un boxeur sur la défensive, il laissa son ennemi approcher.
Les cathédrales du vide
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