70.
Cela faisait une heure qu'Ari appelait Krysztov en
vain. Le garde du corps ne répondait pas, ce qui n'était pas fait
pour le rassurer. Il aurait voulu une explication immédiate à la
disparition des documents de Mancel.
Il se gara au bas la rue de Miromesnil, à quelques
pas du siège du SPHP, et se dirigea d'un pas rapide vers le grand
bâtiment. Il montra sa carte à l'entrée et demanda à rencontrer
Zalewski. Mais, comme il l'avait craint, le Polonais n'était pas
là. Ari parvint toutefois à interroger un collègue qu'il
connaissait, membre de la sous-direction des personnalités
menacées.
— Désolé, Mackenzie, Krysztov est en mission,
expliqua l'officier.
— Je n'arrive pas à le joindre sur son
portable.
— C'est normal. Sur ce genre de missions, les
téléphones personnels sont coupés.
Ari grimaça.
— Il faut que je le joigne tout de suite.
C'est très, très urgent.
L'officier hésita. Joindre un agent en pleine
mission pour des motifs privés était évidemment interdit, mais la
gravité dans le regard de Mackenzie parvint à le persuader qu'il
pouvait faire une entorse au règlement.
— Je vais voir ce que je peux faire,
attendez-moi ici.
L'officier s'éclipsa dans un bureau et réapparut
quelques instants plus tard en tendant un téléphone à
Mackenzie.
— Faites vite, l'intima-t-il.
La voix de Krysztov grésilla dans le combiné.
— Qu'est-ce qui se passe, Ari ?
— Où sont les documents de Mancel ?
— Eh bien, je te l'ai dit, je les ai mis dans
une consigne en attendant de…
— Ils ne sont pas
dans la consigne, Krysztov. J'en reviens.
Il y eut un blanc.
— Tu… Tu es sûr ? Tu as regardé dans le
bon casier ?
— Oui. Tu ne me caches rien, j'espère ?
Tu ne les aurais pas mis ailleurs, par hasard ?
— Mais non, Ari ! Enfin !
Mackenzie s'en voulut presque d'avoir posé la
question.
— Tu en as parlé à quelqu'un ?
— À personne ! Iris et toi êtes les seuls
au courant.
Ari ferma les yeux. Bien sûr. Il n'avait pas pensé
à cette éventualité-là.
— Iris ? Tu as donné le code à
Iris ?
— Oui.
— OK. Désolé de t'avoir dérangé. Je te
rappelle.
L'analyste raccrocha aussitôt, rendit le téléphone
à l'officier du SPHP, le remercia et sortit du bâtiment au pas de
course.
Il sauta dans sa voiture, enfila les oreillettes de
son téléphone portable, démarra et composa le numéro de sa
collègue. Aucune réponse. Il essaya chez elle et au bureau.
Toujours rien.
Il jeta le téléphone sur le siège passager,
s'extirpa rapidement de la petite rue et fonça vers l'extérieur de
Paris.
Il n'arrivait pas à croire qu'Iris ait pu les
trahir. Cela ne tenait pas debout. Il devait y avoir une
explication. Avait-elle été forcée de parler ? Après
tout, peut-être n'avait-elle rien à voir avec cela. Quelqu'un
pouvait avoir utilisé un système pour ouvrir le casier 83 sans le
forcer… Présomption d'innocence. Il devait garder le doute.
Un quart d'heure plus tard, il était à Levallois.
Il entra dans le bâtiment de la DCRI, passa le sas de sécurité,
monta au cinquième étage et se dirigea vers le bureau d'Iris. Vide.
Mais la porte était ouverte.
Il hésita un instant devant la vitre, puis il entra
et commença à fouiller nerveusement dans les affaires de sa
collègue. Il inspecta les papiers posés sur son bureau, les lettres
entassées dans les casiers… Il ne savait pas exactement ce qu'il
cherchait, au fond. Un indice qui pût lui dire si Iris avait
quelque chose à voir avec la disparition des documents. Et à mesure
qu'il fouinait, il se rendait compte que c'était à la fois ridicule
et déplacé.
Soudain, la porte du bureau s'ouvrit violemment et
Ari vit entrer Gilles Duboy.
— Qu'est-ce que vous foutez là,
Mackenzie ?
— Où est Iris ? répliqua-t-il plutôt que
de répondre.
— Elle a appelé ce matin pour dire qu'elle
était malade. Mais vous n'avez pas répondu à ma question. Qu'est-ce
que vous foutez là ? Votre arrêt maladie à vous dure encore
jusque lundi… Vous n'avez rien à faire là.
Ari jeta un dernier coup d'œil au bureau.
— Vous avez raison. Je n'ai rien à faire
là.
Il sortit de la pièce sans prendre la peine de
saluer son supérieur et descendit dans la rue.
Une fois dehors, il alluma nerveusement une
cigarette et regarda l'écran de son téléphone. Il avait espéré
qu'Iris aurait laissé un message, un texto. Mais non, toujours
rien. Et ce n'était vraiment pas normal. À présent, il était
partagé entre inquiétude et colère. Soit il lui était arrivé
quelque chose, soit elle les avait trahis. La seconde option lui
paraissait tout simplement invraisemblable. Mais le plus
insupportable, au fond, c'était de ne pas savoir.
Il montait dans sa voiture quand son téléphone
sonna. Le numéro de Krysztov s'afficha sur le petit écran.
— Alors ?
— Iris a disparu.
— Merde.
— Elle a appelé ce matin pour dire qu'elle
était malade. Je fonce chez elle.
— OK. J'ai fini ici. Je te rejoins.
Ari raccrocha et lança la MG-B dans les rues
désertes de Levallois.