Quinze jours plus tard, un vendredi soir, j’avais invité les filles à dîner. Jill nous avait dit qu’elle avait une grande nouvelle à nous annoncer.
Je revenais du marché, les bras chargés de provisions. Dans le vestibule de mon immeuble, j’ai examiné le courrier. Catalogues et factures habituels. J’allais passer outre quand j’ai remarqué une mince enveloppe blanche, nantie des flèches rouges et bleues d’une lettre par avion, du genre de celles qu’on vend dans les bureaux de poste.
Mon cœur n’a fait qu’un bond en reconnaissant l’écriture.
Le tampon postal portait Cabo San Lucas, Mexique.
J’ai posé mes courses, me suis assise sur les marches et j’ai déchiré l’enveloppe. J’en ai retiré une feuille de papier pliée en deux avec, à l’intérieur, une petite photo Polaroid.
Ma merveille de fille débutait la lettre, griffonnée nerveusement.
À présent, tu dois être au courant de tout. J’ai fait une sacrée trotte pour arriver jusqu’ici, mais j’ai arrêté de fuir.
Tu as sans doute une petite idée de ce qui s’est passé ce jour-là au palais. Vous autres flics de la nouvelle école enfoncez les vieux lambins comme moi. Ce que je voulais que tu saches, c’est que je n’avais pas peur que ça soit divulgué. Je suis resté dans le coin quelques jours pour voir si l’histoire s’ébruitait. Je t’ai même appelée à l’hôpital une fois. C’était moi... Je savais que tu n’avais pas envie d’avoir de mes nouvelles, mais je voulais m’assurer que tu allais bien. Et comme de juste tu vas tout à fait bien.
Ces quelques lignes ne suffiront pas à t’exprimer combien je regrette de t’avoir déçue une nouvelle fois. J’ai eu tort sur plusieurs plans : l’un d’entre eux, c’est qu’on ne peut pas tout laisser derrière soi. Je l’ai su dès que je t’ai revue. Pourquoi m’a-t-il fallu toute une vie pour intégrer une leçon aussi simple ?
Mais j’avais raison par ailleurs. Et sur une chose plus importante que tout le reste. Personne n’est jamais fort au point de ne pas avoir besoin d’un coup de main de temps à autre... même de son père.
La lettre était signée, « Ton bêta de papa », puis juste en dessous « qui t’aime pour de vrai... »
J’ai relu son petit mot en retenant mes larmes. Marty avait donc trouvé un endroit où plus rien ne l’atteindrait. Où personne ne le connaissait. J’ai suffoqué de tristesse en comprenant qu’il se pourrait que je ne le revoie jamais.
J’ai retourné la photo granuleuse.
On y voyait Marty... affublé d’une chemise hawaïenne ridicule, posant devant un bateau de pêche, posé sur un échafaudage ; l’embarcation mesurait dans les quatre mètres de long. Il y avait ces quelques lignes au bas du cliché : « Nouveau départ, nouvelle vie. J’ai acheté ce bateau. Je l’ai repeint moi-même. Un jour, je te décrocherai un rêve... »
J’ai éclaté de rire... Le con, me suis-je dit, en hochant la tête. Et merde, qu’est-ce qu’il connaît aux bateaux ? Ou à la pêche ? Le plus près de l’océan que mon père soit jamais allé, c’était quand on l’avait détaché au maintien de l’ordre sur les quais.
Puis quelque chose m’a tiré l’œil.
À l’arrière-plan de la photo, par-delà la pose altière de mon père, se détachant sur coques et mâts de la marina, sur le magnifique ciel bleu...
Je me suis efforcée de déchiffrer l’inscription sur la coque fraîchement repeinte de son esquif tout beau tout nouveau.
Un seul mot était gribouillé en lettres blanches de sa main.
Le nom du bateau : Bouton d’Or.