49.
Ma démarche suivante a été de téléphoner à Madeline Akers, directrice adjointe de la prison de San Quentin. Maddie était une amie. Elle m’a rapporté ce qu’elle savait de Coombs.
— Mauvais flic, mauvais mec, très mauvais compagnon de cellule. Un enfoiré de première.
Maddie m’a dit qu’elle allait questionner son entourage à son sujet. Peut-être Frank Coombs avait-il confié à quelqu’un quels étaient ses projets à sa sortie.
— Madeline, il ne doit y avoir absolument aucune fuite, ai-je insisté.
— Mercer était un ami, Lindsay. Je ferai tout ce que je pourrai. Donne-moi quelques jours.
— Rien qu’un, Maddie. C’est vital. Il va tuer à nouveau.
Je suis restée longtemps à mon bureau à tâcher de faire tenir ensemble les éléments en ma possession. Je ne pouvais pas rattacher Coombs à l’une des scènes de crime. Je n’avais pas d’arme. J’ignorais même où il se trouvait. Mais pour la première fois depuis la mort de Tasha Catchings, j’avais le sentiment de tenir un bon filon.
Mon instinct me soufflait de demander à Cindy de partir à la pêche dans les archives du Chronicle. Ces événements remontaient à plus de vingt ans. Il ne restait plus qu’une poignée de gens dans le service à avoir connu cette époque.
Puis je me suis rappelé qu’une personne dans le même cas logeait sous mon toit.
J’ai trouvé mon père devant les infos du soir en passant la porte.
— Eh, m’a-t-il hélée. Voilà que tu rentres à une heure décente. Tu as résolu l’affaire ?
Je me suis changée, j’ai attrapé une bière dans le frigo, puis j’ai tiré un fauteuil en face de lui.
— Il faut que je te parle de quelque chose, lui ai-je dit en le fixant dans les yeux. Tu te souviens d’un certain Frank Coombs ?
Mon père a acquiescé.
— Ça fait un bail que j’ai pas entendu son nom. Bien sûr que je me souviens de lui. Le flic qui a étranglé un gamin des cités. On l’a jugé pour meurtre. Et on l’a bouclé.
— Tu étais en service, hein ?
— Oui et je le connaissais. Le flic le plus lamentable sur lequel j’sois jamais tombé. Il en impressionnait certains. Il procédait à des arrestations, faisait tourner la machine. À sa façon. C’était différent à l’époque. Y avait pas de commissions d’examen qui venaient regarder par-dessus ton épaule. Tout ce qu’on faisait ne finissait pas imprimé dans les journaux.
— Ce gosse qu’il a étranglé, papa, il avait quatorze ans.
— Qu’est-ce que tu veux savoir sur Coombs ? Il est à l’ombre.
— Non, il n’y est plus. Il est sorti.
J’ai rapproché mon fauteuil.
— J’ai lu que Coombs avait déclaré avoir tué ce gamin en légitime défense.
— Quel flic ferait pas pareil ? Il a dit que le gamin a essayé de le piquer avec un objet pointu qu’il a pris pour un couteau.
— Tu te souviens de son coéquipier, à ce moment-là, papa ?
— Bon Dieu, a fait mon père en haussant les épaules. Stan Dragula, si je me rappelle bien. Ouais, il a témoigné au procès. Mais je crois que ça fait plusieurs années qu’il est mort maintenant. Personne ne voulait bosser avec Coombs. On avait la frousse de patrouiller avec lui dans certains quartiers.
— Stan Dragula était-il blanc ou black ? ai-je demandé.
— Stan était blanc, m’a répondu mon père. Italien, je crois, ou juif, peut-être bien.
Ce n’était pas la réponse à laquelle je m’attendais. Personne n’avait soutenu Coombs. Mais pourquoi tuait-il des Noirs ?
— Papa, si Coombs est l’auteur de ces meurtres... il poursuit une sorte de vengeance, pourquoi contre des Blacks ?
— Coombs était une brute, mais c’était aussi un flic. Les choses étaient différentes à l’époque. Y avait ce fameux mur bleu du silence... On l’enseignait à chaque flic à l’Académie : fermez votre clapet. Le mur vous protégera. Eh ben, ç’a pas été le cas pour Frank Coombs ; il s’est écroulé sur lui. Tout le monde était ravi de le lâcher. Ça remonte à quand, vingt ans en arrière ?
L’affirmative action2 était fortement implantée dans la police. Noirs et Latinos commençaient à occuper des postes-clés. Et puis y avait ce lobby black, l’APJ...
— Les Agents pour la Justice, ai-je terminé. Ils existent toujours.
Mon père a confirmé.
— Les tensions étaient fortes. L’APJ menaçait de faire grève. Bientôt, y a eu des pressions de la municipalité, aussi. Quoi qu’il en soit, Coombs a senti qu’on le livrait, pieds et poings liés.
Ça devenait de plus en plus clair pour moi. Coombs jugeait que le lobby black du service l’avait acculé. Il avait ruminé sa haine en prison. Aujourd’hui, vingt ans plus tard, il était de retour dans les rues de San Francisco.
— Peut-être qu’à un autre moment, on aurait balayé ce genre de chose sous le tapis, ai-je conclu. Mais pas là. L’APJ l’a pas loupé.
Soudain, une prise de conscience écœurante a germé dans ma tête.
— Earl Mercer a trempé là-dedans, c’est ça ?
Mon père a acquiescé.
— Mercer était le lieutenant de Coombs.