23.
Plus tard dans l’après-midi, je me suis rendue en voiture à Ingleside Heights pour parler à l’épouse du DG Mercer. Je sentais qu’il fallait que je le fasse moi-même. Une file de voitures s’étirait déjà le long de la rue aux abords de la maison. Une parente m’a ouvert la porte et m’a dit que Mme Mercer était à l’étage avec sa famille.
J’ai attendu, reconnaissant certains de ceux réunis au salon. Au bout de quelques minutes, Eunice Mercer a descendu l’escalier. Une femme d’âge moyen, à l’air avenant, l’accompagnait. Il s’avéra que c’était sa sœur. En m’apercevant, Eunice s’est dirigée vers moi.
— Je regrette tellement, je n’arrive pas à y croire, lui ai-je dit en lui pressant la main avant de la serrer contre moi.
— Oui, a-t-elle murmuré. Je sais que vous êtes passée par là, vous aussi.
— Je vous promets... je sais combien tout cela est dur. Mais je dois vous poser quelques questions, lui ai-je expliqué.
Elle a acquiescé et sa sœur s’est éloignée parmi les invités. Eunice Mercer m’a emmenée dans un bureau discret.
Je lui ai posé de nombreuses questions identiques à celles que j’avais soumises aux parents des autres victimes. Quelqu’un avait-il menacé récemment son mari ? Y avait-il eu des appels à son domicile ? Avait-on aperçu dernièrement quelqu’un de suspect épiant la maison ?
Elle a répondu par la négative.
— Earl disait que c’était le seul endroit où il avait vraiment l’impression de vivre dans cette ville et non pas d’en diriger les forces de police.
J’ai changé mon fusil d’épaule.
— Étiez-vous déjà tombée sur le nom d’Art Davidson avant cette semaine ?
Le visage d’Eunice Mercer est devenu inexpressif.
— Vous pensez qu’Earl a été tué par le même individu que celui qui a fait ces choses affreuses ?
Je lui ai pris la main.
— Je crois que c’est le même homme qui a commis tous ces meurtres.
Elle s’est massé le front.
— Lindsay, en ce moment, plus rien n’a de sens pour moi. L’assassinat d’Earl. Ce livre...
— Un livre... ? lui ai-je demandé.
— Oui. Earl lisait des magazines automobiles. Il avait un rêve, au moment de sa retraite... cette vieille GTO qu’il gardait dans le garage d’un cousin. Il disait toujours qu’il la démonterait entièrement puis qu’il la reconstruirait à partir de zéro. Mais ce livre qu’il avait fourré dans sa veste...
— Quel livre ? ai-je répété en battant des paupières.
— Un jeune médecin de l’hôpital me l’a retourné, avec son portefeuille et ses clés. Je ne savais pas qu’il s’intéressait à ce genre de choses. À ces mythes de l’Antiquité...
Mon pouls a soudain battu plus fort.
— Vous pouvez me montrer ce dont vous parlez ?
— Bien sûr, m’a dit Eunice Mercer. Il est là-bas.
Elle a quitté la pièce pour y revenir un instant plus tard. Elle m’a tendu un exemplaire en poche d’un ouvrage que lit chaque écolier. La Mythologie d’Édith Hamilton.
Le bouquin était vieux et écorné, comme si on l’avait consulté maintes et maintes fois. J’en ai feuilleté les pages sans rien remarquer.
J’ai vérifié la table des matières. Alors j’ai vu. Page 141, au beau milieu. C’était souligné. Bellérophon tue la Chimère.
Bellérophon... Billy Reffon.
Mon cœur s’est serré. C’était ce nom-là qu’il avait donné pendant l’appel au 911 avant le meurtre d’Art Davidson. Il avait dit s’appeler Billy Reffon.
J’ai ouvert le livre à la page 141. C’était bien là. Avec une illustration. La tête de lion. Le corps de chèvre. La queue de serpent.
La Chimère.
Ce salaud nous apprenait qu’il avait tué le DG Mercer.
Un frisson m’a parcourue. Il y avait autre chose sur la page. Quelques mots manuscrits gribouillés nerveusement à l’encre au-dessus de l’illustration :
D’autres suivront... justice sera faite.