25.
J’avais du mal à y croire. Je suis restée bouche bée, j’ai piqué un fard. J’ai regardé Cindy, puis Winslow à nouveau, ma surprise cédant lentement la place à un sourire.
— Bonsoir, lieutenant, m’a saluée Winslow, coupant court à l’embarras. Quand Cindy m’a dit qu’elle rencontrait des amies, je ne m’attendais pas à vous trouver ici.
— Ma foi, moi non plus, ai-je bafouillé en réponse.
— On va au Blue Door, a lancé Cindy à la cantonade, en faisant les présentations. Pinetop Perkins est en ville.
— Super, a dit Claire.
— Une vraie béatitude, a ajouté Jill.
— L’une d’entre vous veut-elle se joindre à nous ? a proposé Aaron Winslow. Si vous n’en avez jamais entendu, rien ne ressemble au blues de Memphis.
— Je dois être au bureau demain à six heures, a fait Claire. Allez-y, vous deux.
Je me suis penchée vers Cindy et lui ai chuchoté :
— Tu sais, quand on parlait gourbis, l’autre jour, je plaisantais.
— Je sais que tu plaisantais, m’a répondu Cindy, nouant son bras au mien. Mais pas moi.
Claire, Jill et-moi sommes restées babas en les voyant disparaître tous deux au coin de la rue. À vrai dire, ils formaient un couple plutôt bien assorti et, après tout, leur rendez-vous n’était que musical.
— Bon, a fait Jill, dites-moi que je n’ai pas rêvé.
— Tu n’as pas rêvé, petite, a embrayé Claire. J’espère simplement que Cindy sait où elle met les pieds.
— Non, non, ai-je fait. J’espère que lui le sait.
Tout en prenant le volant, j’ai joué avec l’idée du couple Cindy et Aaron Winslow. Ça m’a presque ôté de la tête ce qui avait provoqué notre réunion.
J’ai engagé mon Explorer dans Brannan en faisant au revoir à Claire, qui se dirigeait vers la 280. En tournant, j’ai vaguement aperçu une Toyota blanche démarrer derrière moi, un peu plus loin.
J’avais l’esprit absorbé par ce que je venais de faire : impliquer les filles dans cette terrible affaire, en contrevenant à un ordre exprès du maire et de mon supérieur hiérarchique. Cette fois, personne ne me soutiendrait. Ni Roth ni Mercer.
Une Mazda, deux adolescentes à son bord, pila derrière moi. On venait de stopper à un feu sur la Septième. La conductrice parlait comme une mitraillette dans son portable, sa passagère, elle, chantait manifestement en chœur avec la stéréo.
Au redémarrage, je les ai tenues à l’œil sur une longueur de bloc, jusqu’à ce qu’elles tournent dans la Neuvième. Un minibus bleu a remplacé la Mazda.
J’ai pénétré dans Potrero en passant sous le passage inférieur pour la 101, en direction du sud. Le minibus bleu a tourné.
À ma grande surprise, j’ai encore aperçu la Toyota blanche qui traînaillait à une trentaine de mètres derrière moi.
J’ai poursuivi ma route. Une BMW argent, accélérant dans la voie de gauche, est venue me coller au pare-chocs. Derrière elle, un bus municipal. La voiture-mystère semblait avoir disparu.
Qui pourrait te reprocher d’être un petit peu nerveuse, étant donné la situation ? me suis-je dit. Ma photo avait paru dans les journaux et été diffusée aux infos télévisées.
J’ai pris à droite comme d’habitude par Connecticut et entamé l’ascension de la colline de Potrero. J’espérais que Mme Taylor, ma plus proche voisine, était allée promener Martha. Je songeais à m’arrêter au supermarché de la Vingtième pour un cornet à la vanille d’Edy.
Deux blocs plus haut, j’ai jeté un dernier coup d’œil dans le rétro. La Toyota blanche s’y est encadrée.
Soit cet enfoiré habitait mon quartier, soit ce salopard me filait.
Ça devait être Chimère.