6.
Le sergent Art Davidson, policier de la route, répondit au 1-6-0 dès qu’il entendit l’appel. Tapage nocturne, violences conjugales. Au 303, Septième Rue, à l’étage. Voitures disponibles, répondez.
Son coéquipier, Gil Herrera, et lui, n’étaient qu’à quatre blocs de là, sur Bryant. Il était presque huit heures ; leur ronde se terminait dans dix minutes.
— Tu veux qu’on s’en charge, Gil ? fit Davidson, en vérifiant l’heure à sa montre.
Son coéquipier haussa les épaules.
— Comme tu veux, Artie. C’est toi qui as une super teuf qui t’attend.
Super teuf, tu parles. C’était le septième anniversaire de sa petite Audra. Il avait appelé pendant la pause et Carol lui avait dit que s’il rentrait à neuf heures et demie, elle ne l’aurait pas couchée et qu’il pourrait lui offrir le miroir de maquillage Britney Spears qu’il avait choisi pour elle. Davidson avait cinq enfants et ils étaient toute sa vie.
— Et puis merde, répondit Davidson en haussant les épaules. C’est pour ça qu’on est royalement payés, hein ?
Ils déclenchèrent la sirène et en moins d’une minute, la voiture radio 2-4 s’arrêta devant la façade lugubre et délabrée du 303, Septième Rue. L’enseigne du défunt Hôtel Driscoll pendait, de guingois, au-dessus de la porte d’entrée.
— Y a encore du monde qui crèche dans ce dépotoir ? fit Herrera en soupirant. Bon Dieu, qui voudrait vivre ici ?
Les deux flics, armés de leurs matraques et d’une grosse lampe torche, s’approchèrent de la porte d’entrée. Davidson l’ouvrit. À l’intérieur, ça empestait les excréments et l’urine... de rat, sans aucun doute.
— Oh, y a quelqu’un là-dedans ? beugla Davidson. Police.
Soudain, ils entendirent des cris provenant d’en haut. Ceux d’une dispute.
— On y va, fit Herrera, montant quatre à quatre la première volée de marches.
Davidson suivit.
Au premier étage, Gil Herrera s’enfonça dans le couloir, cognant aux portes avec la torche.
— Police, police...
Dans la cage d’escalier, Davidson entendit soudain crier à nouveau – les voix étaient fortes, survoltées. Puis un fracas, comme si on avait cassé quelque chose. Le bruit venait d’au-dessus de sa tête. Il grimpa seul deux autres volées de marches.
Les sons devinrent encore plus forts. Il s’arrêta devant une porte fermée. Appartement 42.
— Salope..., hurla quelqu’un.
Puis un bris d’assiette. Une femme semblait supplier :
— Arrêtez-le, il va me tuer. Arrêtez-le, s’il vous plaît... à l’aide. S’il vous plaît.
— Police, répondit Art Davidson en dégainant son arme. Herrera, par ici, en haut, vite !
Il se jeta de tout son poids contre le battant qui céda. L’intérieur était faiblement éclairé, mais une autre pièce l’était davantage : la dispute venait de là... de plus en plus proche... on hurlait.
Davidson ôta le cran de sécurité de son arme. Puis s’engouffra dans la chambre par la porte ouverte. À sa grande stupéfaction, elle était vide.
Une ampoule nue diffusait une lumière jaunâtre. Sur une chaise métallique était posé une énorme radiocassette. Les éclats de voix sortaient de ses haut-parleurs.
Les paroles étaient celles qu’il avait déjà entendues.
— Arrêtez-le, il va me tuer !
— C’est quoi, ça, merde ?
Davidson en cillait d’incrédulité.
Il s’avança jusqu’à l’appareil stéréo, s’accroupit et l’éteignit. La dispute tonitruante cessa aussitôt.
— Bordel, qu’est-ce que..., marmonna Davidson. Y a quelqu’un qui s’amuse.
Il jeta un regard circulaire. La pièce minable semblait inhabitée depuis un certain temps. La fenêtre attira son regard, puis l’extérieur : de l’autre côté d’une ruelle, l’immeuble d’en face. Il crut entrevoir quelque chose. Mais quoi ?
Ping...
Il entrevit une étincelle jaune de la taille d’une tête d’épingle, aussi rapide qu’un claquement de doigt, que l’éclat d’une luciole dans le noir de la nuit.
Alors la fenêtre fut pulvérisée et Art Davidson fut frappé avec force en plein dans l’œil droit. Il était mort avant d’avoir touché terre.