13.
La cité Gustave White se composait de six tours identiques en brique rouge sur Redmond Street, à Oakland ouest. Au moment où l’on s’arrêtait, Vandervellen nous a dit :
— Ça n’a pas le sens commun... Cette pauvre femme n’était pas malade, paraissait sans problèmes financiers, allait même à l’église deux fois par semaine. Mais parfois, les gens renoncent, comme ça. Jusqu’à l’autopsie, tout paraissait réglo.
Je me suis remémoré le dossier : aucun témoin, personne n’avait entendu crier, ni vu quelqu’un s’enfuir. Rien de plus qu’une femme âgée qui vivait repliée sur elle-même et qu’on avait retrouvée en sous-sol, pendue à un tuyau de la chaufferie, le cou à angle droit, tirant la langue.
Une fois dans la cité, on s’est dirigés vers le Bâtiment C.
— L’ascenseur est en rade, nous a annoncé Vandervellen.
On a pris l’escalier du sous-sol. Les murs étaient couverts de graffitis. Un écriteau peint à la main indiquait « Buanderie — Chaudière ».
— C’est ici qu’on l’a découverte.
La pièce était encore barrée de ruban jaune de scène de crime entrecroisé. Une odeur âcre et rance emplissait l’air. Il y avait des tags partout. Tout ce qui s’était trouvé là – le cadavre, le fil électrique avec lequel on l’avait pendu – avait déjà été transporté à la morgue ou enregistré comme pièce à conviction.
— Je ne vois pas ce que vous comptez trouver, nous a dit Vandervellen en haussant les épaules.
— Je ne le vois pas non plus, lui ai-je rétorqué. C’est arrivé samedi dernier, tard dans la soirée ?
— D’après le coroner, sur le coup de dix heures. On a pensé que peut-être la vieille dame, descendue faire sa lessive, a été surprise par quelqu’un. Le gardien l’a découverte le lendemain matin.
— Et côté caméras de surveillance ? a demandé Jacobi. Il y en a partout dans le hall et les couloirs.
— Même chose que l’ascenseur – pétées.
Et Vandervellen de hausser les épaules derechef.
Il était clair que ce dernier et Jacobi n’avaient qu’une envie : sortir de là le plus vite possible. Mais quelque chose me poussait à m’attarder. Pour quelle raison ? Je n’en avais pas la moindre idée. Mais tous mes sens étaient en éveil. Trouve-moi... par ici.
— L’aspect raciste écarté, a déclaré Vandervellen, si vous cherchez un lien, je suis sûr que vous savez qu’il est inhabituel pour un tueur de changer de mode opératoire en pleine action.
— Merci, lui ai-je répondu d’un ton sec.
J’avais scruté la pièce. Rien ne m’avait sauté aux yeux. Je n’avais rien d’autre que cette impression.
— Je pense qu’on va devoir résoudre ça tout seuls comme des grands. Qui sait ? Peut-être qu’on aura bientôt quelque chose à se mettre sous la dent.
Au moment où Vandervellen allait basculer l’interrupteur, un truc m’a tiré l’œil.
— N’éteignez pas, lui ai-je ordonné.
Comme attirée par un aimant, je me suis avancée vers le fond de la pièce, jusqu’au mur où l’on avait retrouvé pendue Estelle Chipman. Je me suis accroupie, j’ai effleuré du doigt la paroi de béton. Si je ne l’avais pas repéré de loin, ça m’aurait échappé.
Un dessin primitif, tel celui d’un enfant, à la craie orange. Un lion. Comme celui du dessin de Bernard Smith, mais en plus féroce. Le corps du fauve se terminait par une queue lovée, mais c’était la queue de quelque chose d’autre... D’un reptile ? D’un serpent ?
Et ce n’était pas tout.
Le lion avait deux têtes : la première, celle d’un lion, l’autre, d’une chèvre peut-être.
Je me suis sentie oppressée et avec un frisson de répugnance, j’ai reconnu la chose.
Jacobi s’est approché de moi par-derrière.
— Tu as trouvé quelque chose, lieutenant ?
J’ai poussé un long soupir.
— Pokémon.