35.
Ça ne pouvait pas être en train de se passer et pourtant...
J’ai lancé un appel à tous les véhicules disponibles, puis je me suis précipitée chez Cindy. J’y suis arrivée aussi vite qu’il m’a été humainement possible de le faire. Et peut-être même un peu plus. J’ai aperçu Cindy et Aaron sur la véranda de l’entrée. Une demi-douzaine de voitures de police étaient garées tout autour de la maison. Pourtant ils étaient toujours des cibles potentielles, non ?
En courant vers Cindy, j’avais les mains crispées. Je l’ai serrée contre moi : elle tremblait encore comme une feuille. Je ne lui avais jamais vu un air si vulnérable, si effrayé et si perdu.
— Dieu merci, une voiture est arrivée au bout de deux minutes, Lindsay. Soit il a pris peur et il est parti, soit c’était déjà fait.
— Vous n’avez rien ? ai-je dit en me tournant vers Aaron.
Cindy et lui avaient leurs vêtements pleins de taches. On aurait dit qu’ils s’étaient battus avec de la nourriture. Bon sang, qu’est-ce qui s’était passé par ici ?
— Aaron m’a sauvé la vie, a murmuré Cindy.
Lui s’est contenté de secouer la tête en tenant la main de Cindy. La tendresse qui les liait m’a beaucoup touchée.
— Il est en train de déjanter, ai-je maugréé, plus à mon bénéfice qu’au leur.
Chimère, quel qu’il fût, était pris de rage. Il devenait évident qu’il voulait m’atteindre, moi ou quiconque m’était proche. Ou peut-être était-il offusqué à l’idée de savoir ensemble Aaron Winslow et Cindy ? Ça pouvait être en partie une explication. Il ne préparait plus ses coups avec le même soin, désormais ; il se montrait téméraire et paniqué, tout en demeurant aussi dangereux.
Et il était quelque part dans le paysage. Peut-être même en train de nous surveiller à l’instant même.
— Venez, rentrons, leur ai-je dit.
— Pourquoi, Lindsay ? m’a demandé Cindy. C’est dedans qu’il nous a tiré dessus. Bordel de merde, mais c’est qui, ce mec ? Qu’est-ce qu’il veut ?
— J’en sais rien, Cindy. S’il te plaît, rentre, ma chérie.
Des inspecteurs vérifiaient déjà d’où les coups de feu étaient partis. L’équipe de police scientifique cherchait à établir le calibre de l’arme. Mais moi, je le savais. Et je savais que c’était lui : Chimère.
Je suis encore là, nous disait-il. Me disait-il.
La Ford bleue de Warren Jacobi s’est arrêtée devant moi : je l’ai vu en descendre et s’empresser de me rejoindre.
— Ils vont bien, tous les deux ?
— Ouais. Ils sont retournés à l’intérieur. Bon Dieu, Warren. Ça doit avoir quelque chose à voir avec moi. Obligatoire.
J’ai posé ma tête sur son épaule une seconde. J’avais les yeux pleins de larmes et je ne les ai pas refoulées. Elles ont coulé sur mes joues, chaudes et piquantes.
— Je vais le tuer, ce type, ai-je murmuré.
Jacobi m’a serrée encore plus fort. Ce brave vieux Warren.
On était revenus au point zéro. Je n’avais aucune idée de son identité. J’ignorais d’où reprendre les recherches.
Une Lincoln noire de fonction s’est frayé un passage dans la rue barricadée avant de venir s’arrêter en douceur, le long du trottoir. La portière s’est ouverte et le DG Tracchio, faisant grise mine, est descendu, embrassant d’un coup d’œil le lieu de la fusillade.
Son regard croisant le mien, il a ravalé sa culpabilité ; les gyrophares se reflétaient dans ses lunettes.
Je lui ai lancé un regard noir. C’est suffisant comme preuve ?