26.
J’ai fixé mon Glock et beuglé un appel à la voiture disponible la plus proche. Puis je suis sortie au pas de charge du bureau, Cappy et Jacobi sur mes talons.
À un bloc d’ici... qu’est-ce que Coombs mijotait donc ?
Sans attendre l’ascenseur, j’ai dévalé l’escalier de service aussi vite que mes jambes pouvaient me porter. Dans le hall, j’ai fendu le flot d’employés et de citoyens qui s’y trouvaient et franchi en trombe les portes de verre donnant sur Bryant Street.
La foule habituelle grouillait sur les marches à l’heure du déjeuner : avocats, garants de caution et inspecteurs. J’ai scruté la Neuvième Rue, cherchant à repérer quelqu’un qui ressemblait à Coombs.
Rien.
Cappy et Jacobi m’ont rattrapée.
— Je passe devant, a dit Cappy.
Soudain ça m’a frappée. Un autre rendez-vous... Coombs était dans le coin, non ? Il était au palais de justice.
— Police ! ai-je crié, en faisant des gestes à la foule sans méfiance. Plus personne ne bouge.
J’ai cherché son visage parmi ceux de la foule. Mon Glock était prêt à servir. Les badauds me regardaient en ouvrant de grands yeux sous l’effet de la surprise. Plusieurs se sont accroupis ou bien ont commencé à s’écarter.
Voici ce qui s’est passé ensuite dans mon souvenir :
Un agent en uniforme a monté les marches en se dirigeant vers moi. Je l’ai à peine remarqué ; je cherchais le visage de Coombs.
Le type en uniforme s’est détaché de la foule, le visage masqué par des lunettes noires et la visière de sa casquette. Il avait le bras tendu.
Je me suis concentrée au-delà de lui sur la rue, toujours en quête de Coombs. Puis j’ai entendu quelqu’un crier mon nom.
— Eh ! Boxer !
Tout s’est déchaîné sur le perron du palais. Jacobi, Cappy m’ont hurlé :
— Le flingue...
Mon regard s’est reporté en un éclair sur l’agent. À cet instant, la chose la plus étrange m’est devenue claire. Ce bleu... il portait un uniforme que je n’avais plus vu depuis un bail. Je l’ai mieux dévisagé et sous le choc, j’ai reconnu Coombs. Chimère. C’était avec moi qu’il avait rendez-vous.
Quelqu’un m’a fait pivoter par-derrière au moment où je levais mon Glock.
— Eh ! ai-je protesté en criant.
J’ai vu l’arme de Coombs cracher un feu orange. Deux fois. Je ne pouvais rien faire pour l’empêcher.
Puis tout a basculé dans une folie et une confusion inimaginables. Chaos. Terreur.
J’ai su que j’avais tiré avant que la douleur ne m’engourdisse le corps.
J’ai vu Coombs trébucher en avant, ses lunettes voltiger dans les airs, son arme pointée sur moi. Il a titubé, sans cesser d’avancer sur moi. Ses yeux noirs flamboyaient de haine.
Puis les abords du palais se sont transformés en stand de tir effrayant. Une cacophonie de fortes détonations a résonné à tous les échos... cinq, six, sept en succession rapide, arrivant de tous côtés. Les gens criaient, couraient se mettre à l’abri.
Du rouge vif a jailli de l’uniforme bleu de Coombs. Cappy et Jacobi tiraient sur lui. Son corps, secoué de soubresauts, a dévalé les marches à reculons. Une atroce souffrance se lisait sur ses traits. L’air était chargé de l’odeur chaude de la cordite. L’écho de chaque coup de feu me fracassait les oreilles.
Puis un calme d’une inquiétante étrangeté s’est installé. Ce silence m’a fait tressaillir.
— Ah, mon Dieu, me suis-je rappelé avoir dit, en me retrouvant allongée sur les marches.
Je ne savais trop si j’avais été touchée ou non.
Jacobi était penché sur moi.
— Lindsay, reste là. Ne bouge pas.
Il avait posé ses mains sur mes épaules et sa voix résonnait dans mon crâne.
J’ai acquiescé, passant mon corps en revue pour vérifier si j’étais blessée. Des cris et des gémissements retentissaient alentour, des gens couraient dans tous les sens.
En prenant appui sur le bras de Warren, je me suis lentement remise debout. Il a tenté de me donner un ordre :
— Te lève pas, Lindsay. Je te le dirai pas deux fois.
Coombs était sur le dos, des fuites cramoisies suintaient de sa chemise bleue.
J’ai écarté Jacobi. Il fallait que je voie Coombs, que je le regarde au fond des yeux. Je l’espérais encore en vie, car quand ce monstre allait pousser son dernier soupir, je voulais qu’il le fasse la tête levée vers moi.
Quelques uniformes avaient formé un cercle protecteur autour de Coombs, ordonnant à tout un chacun de rester au large.
Coombs était encore vivant, mais respirait péniblement. Une équipe du Samu est arrivée au pas de course, deux infirmiers trimballant du matériel. L’un d’eux, une femme, a entrepris de déchirer la chemise ensanglantée de Coombs. L’autre lui a pris la tension et installé une perfusion.
Nos regards se sont croisés. Celui de Coombs était vitreux. Un méchant sourire a tordu sa bouche. Et il a tenté de me dire quelque chose.
L’infirmière faisait reculer les gens, en criant qu’il y allait de sa vie.
— Il faut que j’entende ce qu’il dit, ai-je fait à l’infirmière. Accordez-moi une minute.
— Il ne peut pas parler, m’a-t-elle répondu. Laissez-le respirer, lieutenant. Il est en train de mourir sous nos yeux !
— Il faut que j’entende, ai-je répété, avant de m’agenouiller tout près.
La chemise de l’uniforme de Coombs, déchirée, révélait une mosaïque de vilaines plaies.
Ses lèvres tremblaient. Il essayait toujours de me parler. Que voulait-il me dire ?
Je me suis penchée tout près, le sang de Coombs a barbouillé mon chemisier. Je m’en moquais. J’ai tendu l’oreille.
— Une dernière..., a-t-il murmuré.
Chaque respiration était pour lui le résultat d’un véritable combat. Alors c’était ainsi que ça se terminait ? Avec Coombs qui emportait ses secrets avec lui en Enfer ?
Une dernière... ? Une dernière cible, une dernière victime ? Je l’ai regardé au fond des yeux, y lisant sa haine toujours présente.
— Une dernière quoi, Coombs ? ai-je insisté.
Des bulles de sang sont sorties d’entre ses lèvres. Il a repris son souffle avec difficulté, ménageant ses ultimes forces, les bandant contre le pouvoir de sa propre mort.
— Une dernière surprise, m’a-t-il fait en souriant.