14.
Donc, à présent, je savais...
Les deux affaires étaient sans nul doute liées. Bernard Smith ne s’était pas trompé sur la fourgonnette qu’il avait vue démarrer. On savait à quoi s’en tenir sur le véhicule en question. On avait peut-être affaire à un assassin qui avait tué à deux reprises.
Je ne fus pas surprise en rentrant au palais qu’un DG Mercer hors de lui ait insisté pour que je l’appelle dès mon retour.
J’ai fermé la porte de mon bureau, composé son numéro de poste et attendu le tir de barrage.
— Vous connaissez très bien la situation, m’a-t-il fait, d’un ton mordant où l’autorité perçait. Vous croyez que vous pouvez rester toute la journée sur le terrain en ignorant mes appels ? Vous êtes le lieutenant Boxer, désormais. Votre boulot, c’est de diriger votre équipe. Et de me tenir informé.
— Excusez-moi, chef, il se trouve juste que...
— On a tué une petite fille. Le quartier vit dans la terreur. On se retrouve avec un dingue sur les bras qui essaie de transformer l’endroit en enfer. Dès demain, chaque leader afro-américain de cette ville exigera de savoir ce que nous comptons faire.
— Ça va plus loin que ça, chef.
Mercer s’est arrêté net.
— Plus loin que quoi ?
Je lui ai parlé de ce que j’avais trouvé dans le sous-sol d’Oakland. Et du symbole léonin qui figurait dans les deux crimes.
Je l’ai entendu reprendre bruyamment son souffle.
— Vous êtes en train de me dire que ces deux meurtres sont liés ?
— Je dis simplement qu’avant de tirer trop vite des conclusions, cette possibilité existe.
L’air semblait filtrer directo des poumons de Mercer.
— Faites parvenir au labo un cliché de ce que vous avez découvert sur ce mur. Et aussi un croquis de ce qu’a vu ce gamin de Bay View. Je veux connaître la signification de ces dessins.
— C’est déjà en cours, lui ai-je répliqué.
— Et la fourgonnette qui lui a permis de s’échapper ? Du nouveau de ce côté-là ?
— Négatif.
Une hypothèse troublante semblait prendre forme dans l’esprit de Mercer.
— S’il s’agit d’une sorte de complot, on ne va pas rester les bras croisés pendant qu’on prend cette ville en otage en la soumettant à un régime de terreur.
— On recherche la fourgonnette. Laissez-moi un peu de temps pour ce symbole.
Je ne voulais pas lui révéler ma pire crainte. Si Vandervellen avait raison et que l’assassin d’Estelle Chipman était black, si Claire avait raison, et que Tasha Catchings était une cible désignée, il pourrait bien ne pas s’agir du tout d’une campagne de terreur raciste.
Même au téléphone, je sentais la mine de Mercer s’allonger. Je lui demandais de courir un gros risque. Je l’ai enfin entendu expirer.
— Ne me décevez pas, lieutenant. Résolvez cette affaire.
En raccrochant, j’ai senti s’intensifier la pression. L’extérieur allait attendre de moi que je fasse une descente chez le moindre groupuscule raciste en activité, à l’ouest du Montana ; et j’avais déjà de sérieux doutes là-dessus.
Sur mon bureau, j’ai repéré un message de Jill. « Que dirais-tu d’un verre ? À six heures », disait-il. « Nous quatre. »
Après une journée entière consacrée à l’affaire... s’il y avait quelque chose propre à calmer mes angoisses, c’était bien un rendez-vous avec Jill, Claire et Cindy autour d’une carafe de margarita, Chez Susie.
J’ai laissé un message sur la boîte vocale de Jill, disant que j’y serais.
J’ai jeté un coup d’œil à la vieille casquette de baseball d’un bleu décoloré, accrochée au portemanteau dans un angle de mon bureau, avec les mots « Ça, c’est le Paradis... » brodés sur le bord. La casquette avait appartenu à Chris Raleigh. Il me l’avait donnée au cours de notre week-end paradisiaque, là-haut, à Heavenly Valley, où le monde extérieur avait semblé disparaître pendant un moment et où tous les deux, nous nous étions laissé envahir par ce qui commençait à grandir entre nous.
— Fais en sorte que je foire pas tout, ai-je murmuré.
J’ai senti des larmes me picoter les yeux. Mon Dieu, comme j’aurais aimé qu’il soit là.
— Tu me manques, espèce d’enfoiré..., ai-je confié à la casquette.