39.
Revenant en trottinant de son entraînement de l’après-midi, Rusty Coombs emprunta la boucle de six kilomètres qui reliait le complexe sportif au campus sud. Il décida de couvrir les deux cents derniers mètres en piquant un sprint.
Une voiture de police le dépassa, toutes sirènes hurlantes. Puis encore une autre, fonçant à toute allure.
De prime abord, la vue de ces véhicules le fit sursauter. Mais en s’apercevant qu’ils s’éloignaient, il reprit son calme. Il tricota de plus belle de ses jambes musclées.
Tout allait bien, parfaitement bien. Il était en sécurité ici à Stanford. L’un des happy few, pas vrai ?
Il reprit le fil de ses pensées que les flics avaient brutalement interrompu. S’il pouvait perdre un poil de graisse et baisser son temps dans les quarante yards d’un ou deux dixièmes supplémentaires, il pourrait se hisser peut-être jusqu’au troisième tour de sélection de la NFL. Le troisième tour signifiait un bonus garanti. Tiens-t’en au plan, se dit-il. Les rêves avaient tendance à devenir réalité, les siens du moins.
Rusty, suant et soufflant, atteignit Santa Ynez, à un bloc de la résidence qu’il partageait avec plusieurs autres joueurs de football. En s’engageant dans la rue, il pila brusquement de tout son corps.
Bordel... ils sont venus pour moi !
Les gyrophares illuminaient la rue. Des voitures de police... au nombre de trois, plus deux véhicules marron de la sécurité du campus, stationnaient devant chez lui. Un attroupement grouillait sur le trottoir. On n’autorisait pas les flics à pénétrer sur le campus pour des affaires courantes. Non, c’était plus important, en écran large et en couleurs...
Il comprit en un éclair nauséeux que tout était fini. Il n’aurait même pas l’occasion de buter la petite salope qui avait tué son père. Ses jambes bougeaient toujours, il faisait du jogging sur place.
Ce qui lui traversa l’esprit, ce fut bordel, comment ont-ils pu savoir ? Qui a compris ? Pas Lindsay Boxer, quand même !
Un zozo d’étudiant en short rouge flottant, sac à dos de même couleur en bandoulière, remontait la rue dans sa direction. Rusty continua de trottiner sur place.
— Eh mec, qu’est-ce qui se passe, merde ?
— La police recherche quelqu’un, lui répondit le type. Ça doit être mahousse, pasque tout le monde raconte que des flics de San Francisco vont rappliquer.
— Sans déc’, marmonna Rusty. De San Francisco, rien que ça ?
Trop moche, songea-t-il. Il était vénère. Et navré aussi que ça doive finir. Mais il avait toujours fantasmé comment tout ça pourrait se terminer.
Il rebroussa chemin et repartit toujours en trottinant en direction de la cour principale. Sa foulée prit de la vitesse, rapidement et puissamment.
Rusty Coombs tourna la tête au moment où une nouvelle voiture de police, sirène hurlante, le croisa, filant comme une flèche. Inutile de jouer à cache-cache plus longtemps. Les flics étaient venus en nombre.
Heureusement, il tenait la conclusion parfaite.