19.
Dès la première heure, le lendemain matin, j’ai appelé Stu Kirkwood : il dirigeait un service spécialisé dans les agressions racistes en tout genre, rattaché au département de police. Je lui ai demandé si, à titre personnel, il avait des pistes sur ce type de groupuscules pouvant opérer dans la Bay Area. Mes subordonnés en avaient déjà touché un mot à Stu, mais je tenais à précipiter les choses.
Jusqu’ici, Clapper et son équipe de la police scientifique avaient passé au crible le périmètre autour de l’église sans aucun résultat tangible ; le seul élément que nous ayons obtenu concernant Aaron Winslow, c’était que personne n’avait rien de négatif à dire à son encontre.
Kirkwood m’a appris qu’une poignée de groupes suprématistes organisés opéraient en Californie du Nord, rejetons du KKK ou skinheads néo-nazis barjos. Il a ajouté que le meilleur, peut-être, serait de contacter l’antenne locale du FBI, qui les soumettait à une surveillance plus active. Quant à lui, les tabassages de pédés étaient davantage son rayon.
Faire appel au FBI à ce stade de l’affaire ne me remplissait pas d’un fol enthousiasme. J’ai demandé à Kirkwood de me donner ce qu’il avait et, une heure plus tard, il a rappliqué avec un sac plastique bourré de dossiers bleus et rouges.
— Rien que de la doc, m’a-t-il fait avec un clin d’œil en déposant lourdement le sac sur mon bureau.
À la vue de cette masse de dossiers, tout espoir m’a désertée.
— Tu as ton idée là-dessus, Stu ?
Il a haussé les épaules avec sympathie.
— San Francisco n’est pas vraiment le terreau rêvé pour ce genre d’organisations. La plupart du matos que je t’apporte me paraît relativement inoffensif. Ils semblent passer le plus clair de leur temps à écluser des bières et à cramer des munitions.
J’ai commandé une salade, en me disant que j’allais passer mes prochaines heures de bureau en compagnie d’une bande de tarés éructant contre les Noirs et les juifs. J’ai pris quelques dossiers de la pile et en ai ouvert un au hasard.
Un genre de milice, opérant tout là-haut à Greenview, à la frontière de l’Oregon. Les Patriotes californiens. Renseignements succincts émanant du FBI : Type d’Activité : Milice d’une vingtaine de membres. Arsenal Évalué : peu conséquent, armes semi-automatiques en vente libre. On avait porté au bas de la feuille : Dangerosité : Faible/Moyenne.
J’ai feuilleté le dossier. Certains documents, frappés d’un logo constitué d’armes à feu entrecroisées, détaillaient tout et n’importe quoi depuis les flux migratoires de la « majorité européenne blanche » jusqu’au passage sous silence par les médias des programmes gouvernementaux en faveur de l’insémination artificielle des minorités.
Je n’arrivais pas à imaginer mon assassin marcher dans ce ramassis de débilités. Je ne l’imaginais pas du tout sur la même longueur d’onde. Notre bonhomme était organisé et audacieux, pas un zozo surexcité du terroir profond. Il s’était donné beaucoup de mal pour camoufler ses meurtres sous le mode opératoire de crimes racistes. Et les avait signés.
Comme la plupart des assassins en série, il voulait qu’on sache.
Et qu’on sache qu’il ne s’en tiendrait pas là.
J’ai feuilleté quelques dossiers de plus. Rien ne m’y a sauté aux yeux. J’ai commencé à pressentir que je perdais mon temps.
Lorraine est entrée en coup de vent dans mon bureau.
— On a une ouverture, lieutenant. On vient de retrouver la fourgonnette blanche.