45.

Le jaillissement du soleil m’a aveuglée. Puis des sons glaçants : k-ping, k-ping, k-ping... ceux des douilles éjectées du fusil qui cliquetaient sur le sol.

En me précipitant sur le belvédère, j’ai aperçu Coombs junior. Il était agenouillé devant une ouverture, son arme glissée entre les barreaux.

Tout à coup, il a pivoté vers moi.

Son fusil a craché dans ma direction. Une explosion assourdissante, des éclairs orange partout. Des tintements métalliques.

J’ai plongé loin de la porte en déchargeant mon arme à quatre reprises. J’ignorais si je l’avais touché. J’ai retenu mon souffle, m’attendant à être poignardée par la douleur si jamais il m’avait blessée. Il m’avait ratée.

— C’est moins facile quand l’autre riposte, lui ai-je hurlé.

J’étais tapie derrière une haute grille. Elle abritait un ensemble de sept cloches massives dont chacune semblait capable de me briser les tympans au premier coup de battant. À part ça, le belvédère se réduisait à un passage de deux mètres cinquante de large. Il contournait le carillon et comportait des ouvertures dans le mur tous les deux mètres environ, donnant sur l’extérieur.

Coombs junior était de l’autre côté  – les cloches faisaient office d’abri mutuel pour chacun de nous.

Sa voix s’éleva, nasillarde, arrogante, tranquille.

— Bienvenue à Camelot, lieutenant... tous ces super cerveaux, là, en bas... et vous à présent, qui montez jusqu’ici pour me parler à moi.

— Je suis venue avec des amis. Et eux, ils n’ont pas envie de te parler, Rusty. Ils vont chercher à t’abattre par tous les moyens. À quoi bon mourir comme ça ?

— J’en sais rien, ça me paraît un bon plan. Si vous voulez mourir ici, avec moi, bienvenue au club, m’a répondu Rusty.

J’ai scruté à travers la grille, tâchant de me faire une idée de l’endroit où se tenait Coombs junior. De l’autre côté du beffroi, je l’ai entendu fourrer un nouveau chargeur dans son fusil.

— Je suis content que ça soit vous. Je veux dire, ça tombe bien, vous croyez pas ? Vous avez buté mon père, maintenant je vais vous rendre la pareille.

Sa voix a paru se déplacer, comme s’il cherchait à m’encercler.

Je me suis mise à bouger de mon côté, mon Glock braqué sur l’angle de l’habitacle du carillon.

— Je n’ai pas envie que tu meures ici, Rusty.

— Un peu lente à la comprenette, hein, lieutenant ? Comme toujours. Je vous ai donné tout ce à quoi j’ai pu penser. Le symbole de la chimère, la fourgonnette, le 911... qu’est-ce qu’il fallait que je fasse, bordel, vous envoyer un e-mail genre coucou, les mecs, c’est moi ? Vous en avez mis du temps à piger le truc. Ça a coûté la vie à quelques personnes de plus en attendant.

Tout à coup une fusillade en rafale a crépité contre la grille de fer, les balles ricochant avec bruit sur les cloches.

J’ai plongé à terre, la tête entre les mains.

— Ton père est mort, ai-je crié. Ça ne le fera pas revenir.

Où était-il maintenant ? J’ai jeté un œil par un trou dans la grille. Gel instantané de toutes mes facultés.

Je faisais face à Rusty Coombs. Il me souriait, doté du même rictus suffisant et odieux que son père. J’ai aperçu le fusil passé à travers l’habitacle des cloches.

J’ai soudain vu un éclair, éprouvé un recul d’une force brutale. Puis l’impact puissant du coup de feu m’a projetée en arrière.

J’ai atterri violemment sur le dos, puis couru m’abriter tandis que Coombs junior s’est précipité sur sa lancée pour pouvoir m’abattre sans obstacle. J’ai tâtonné à la recherche de mon Glock. Bon Dieu, mon arme... n’était plus là.

Rusty me l’avait fait sauter des mains !

Il s’est avancé jusqu’à ce qu’il se tienne au-dessus de moi, le fusil pointé sur ma poitrine.

— Reconnaissez que je sais tirer, hein ?

Le moindre lambeau d’espoir s’était évanoui. Ses yeux verts brûlaient d’un feu froid et impassible. Je haïssais ce petit salaud à un point !

— N’ajoute pas de nouveaux morts aux précédents, lui ai-je dit, la bouche complètement sèche. Ceux du commando d’intervention arrivent. Si tu me tues, cinq minutes plus tard, ce sera ton tour.

Il a haussé les épaules.

— À ce stade, ça va être chiant d’arranger ça avec l’entraîneur. Les gens comme vous  – son œil était vide— n’ont pas idée de ce que c’est de perdre son père. Vous m’avez pris mon père, bande de salopards.

En voyant son doigt glisser vers la détente, j’ai compris que j’allais mourir. J’ai prié en silence en songeant je ne veux pas mourir.

Alors un son profond à percer les tympans s’est interposé. C’était un bruit d’une puissance semblable à celui d’un immeuble qui s’effondre. Une résonance de gong était suivie d’une autre, puis d’une autre encore. J’ai dû porter mes mains à mes oreilles pour ne pas devenir sourde.

C’était le carillon. Les cloches se mettaient en branle, leur sonorité était la plus forte que j’aie jamais entendue — de beaucoup. Toute la tour tremblait sous ce bruit de tonnerre.

Le visage de Rusty s’est déformé sous l’effet du choc et de la douleur. Il a titubé, se roulant par réflexe en boule pour se protéger.

En l’apercevant qui se recroquevillait, j’ai passé la main dans ma jambe de pantalon. J’en ai retiré le Beretta fixé à ma cheville.

Tout est arrivé si vite, comme dans un film d’action à la bande-son distordue au maximum.

Coombs junior, en me voyant faire, a mis son fusil en position de tir.

J’ai déchargé mon arme à trois reprises, ma main tressautant par saccades. Les cloches continuaient de carillonner... encore et toujours.

Trois geysers cramoisis ont éclaboussé le torse large de Rusty. L’impact l’expédia tout flageolant en arrière.

Le carillon, à nouveau. Chaque bong assourdissant me donnait l’impression qu’on me défonçait le crâne à coups de massue.

Coombs a fini par échouer en position assise. Il a baissé les yeux, a vu sa chair déchirée. Il a cillé, son regard est devenu vitreux, perplexe. Il a relevé son arme vers moi.

— Toi aussi, tu vas crever, espèce de salope !

J’ai pressé la détente du Beretta. Le gong du carillon retentissait toujours quand la déflagration finale l’a frappé en pleine gorge. Il a poussé un grognement sonore, les pupilles révulsées.

J’ai pris conscience que j’avais porté mes mains à mes oreilles encore une fois. La tête me faisait mal. J’ai rampé jusqu’à Rusty et écarté son fusil d’un coup de pied. Les cloches sonnaient de plus belle, une mélodie impossible pour moi à identifier, une réponse peut-être à ma prière.

Quelque chose a arrêté mon regard quand je me suis agenouillée près de Coombs junior.

— Ah, te voilà, toi, ai-je murmuré.

Une queue reptilienne, lovée, rouge et bleu, reliée au corps de chèvre que couronnait la double tête féroce et fière d’un lion et d’une chèvre. La chimère... l’une de mes balles avait transpercé le torse de la bête immonde. Elle paraissait bel et bien morte, elle aussi.

J’ai entendu des cris derrière moi, mais je n’ai pas bougé, toujours penchée sur Rusty. Je sentais que je devais répondre à ce qu’il m’avait dit à la toute fin. Vous n’avez pas idée d’à quoi ça ressemble... de perdre son père...

— Oh si, moi, je le sais, ai-je dit à ses yeux clos.

 

2e chance
coverpage.xhtml
content0002.xhtml
content0003.xhtml
content0004.xhtml
content0005.xhtml
content0006.xhtml
content0007.xhtml
content0008.xhtml
content0009.xhtml
content0010.xhtml
content0011.xhtml
content0012.xhtml
content0013.xhtml
content0014.xhtml
content0015.xhtml
content0016.xhtml
content0017.xhtml
content0018.xhtml
content0019.xhtml
content0020.xhtml
content0021.xhtml
content0022.xhtml
content0023.xhtml
content0024.xhtml
content0025.xhtml
content0026.xhtml
content0027.xhtml
content0028.xhtml
content0029.xhtml
content0030.xhtml
content0031.xhtml
content0032.xhtml
content0033.xhtml
content0034.xhtml
content0035.xhtml
content0036.xhtml
content0037.xhtml
content0038.xhtml
content0039.xhtml
content0040.xhtml
content0041.xhtml
content0042.xhtml
content0043.xhtml
content0044.xhtml
content0045.xhtml
content0046.xhtml
content0047.xhtml
content0048.xhtml
content0049.xhtml
content0050.xhtml
content0051.xhtml
content0052.xhtml
content0053.xhtml
content0054.xhtml
content0055.xhtml
content0056.xhtml
content0057.xhtml
content0058.xhtml
content0059.xhtml
content0060.xhtml
content0061.xhtml
content0062.xhtml
content0063.xhtml
content0064.xhtml
content0065.xhtml
content0066.xhtml
content0067.xhtml
content0068.xhtml
content0069.xhtml
content0070.xhtml
content0071.xhtml
content0072.xhtml
content0073.xhtml
content0074.xhtml
content0075.xhtml
content0076.xhtml
content0077.xhtml
content0078.xhtml
content0079.xhtml
content0080.xhtml
content0081.xhtml
content0082.xhtml
content0083.xhtml
content0084.xhtml
content0085.xhtml
content0086.xhtml
content0087.xhtml
content0088.xhtml
content0089.xhtml
content0090.xhtml
content0091.xhtml
content0092.xhtml
content0093.xhtml
content0094.xhtml
content0095.xhtml
content0096.xhtml
content0097.xhtml
content0098.xhtml
content0099.xhtml
content0100.xhtml
content0101.xhtml
content0102.xhtml
content0103.xhtml
content0104.xhtml
content0105.xhtml
content0106.xhtml
content0107.xhtml
content0108.xhtml
content0109.xhtml
content0110.xhtml
content0111.xhtml
content0112.xhtml
content0113.xhtml
content0114.xhtml
content0115.xhtml
content0116.xhtml
content0117.xhtml
content0118.xhtml
content0119.xhtml
content0120.xhtml
content0121.xhtml
content0122.xhtml
content0123.xhtml
content0124.xhtml
content0125.xhtml
content0126.xhtml
content0127.xhtml
content0128.xhtml
content0129.xhtml
content0130.xhtml
content0131.xhtml
content0132.xhtml
content0133.xhtml
footnote0001.xhtml