15.
Une minute, pas plus, nous a suffi pour réinvestir notre ancien box de Chez Susie et, en sentant la vieille magie se remettre à opérer, pour comprendre que c’était reparti pour un tour.
Une affaire pénible qui empirait. Une carafe remplie de margarita à péter le feu. Mes trois meilleures amies, toutes liées au plus haut niveau au respect de la loi et de l’ordre. Notre Murder Club était à nouveau entré en action, j’en avais bien peur.
— Comme au bon vieux temps ? m’a dit Claire en souriant et en poussant de côté son volume confortable pour me faire de la place.
— Plus que tu ne crois, ai-je soupiré. Puis, en me versant un verre mousseux : ah, bon Dieu, j’en avais salement besoin.
— La journée a été rude ? m’a demandé Jill.
— Non, ai-je répondu, en accentuant ma réponse d’un signe de tête. La routine. Du gâteau.
— Cette paperasse, ça ferait s’adonner n’importe qui à la boisson.
Claire a haussé les épaules, en sirotant sa margarita.
— À la vôtre. Super de vous revoir, les filles.
Le groupe bourdonnait d’une certaine impatience. En buvant à mon tour, j’ai jeté un regard à la ronde. Tous les yeux étaient fixés sur moi.
J’ai failli cracher dans mon verre.
— J’peux rien vous dire. Pas même un seul mot.
— Qu’est-ce que je vous avais dit, a fait Jill de sa voix rauque, avec un sourire qui marquait le coup. Les choses ont changé. Lindsay est du côté du manche, maintenant.
— C’est pas ça, Jill. Les ordres sont de la boucler. Mercer veut que rien ne filtre. De plus, je croyais qu’on était ici à cause de toi.
L’œil bleu vif de Jill a pétillé de malice.
— La représentante du bureau du procureur veut bien céder son tour de parole à son estimée collègue du second étage.
— Mais bon sang, les filles, ça ne fait que deux jours que je suis sur cette affaire.
— De quoi d’autre parle-t-on en ville ? s’est écriée Claire. Tu veux que je te raconte ma journée ? Autopsie à dix heures, puis conférence à l’université de San Francisco sur la pathologie de...
— On pourrait parler du réchauffement de la planète, nous a coupées Cindy. Ou bien de La Mort de Vishnou, mon livre de chevet en ce moment.
— Ce n’est pas que je ne veux pas en parler, ai-je protesté. C’est simplement que c’est sous le sceau du secret, confidentiel.
— Confidentiel comme, par exemple, ce sur quoi je t’ai aiguillée à Oakland ? a demandé Cindy.
— Il faudra qu’on en parle, lui ai-je répondu. Après.
— Je te propose un marché, a dit Jill. Tu nous fais part de tout. Comme d’habitude. Puis, à mon tour, je vous ferai part de quelque chose. Vous jugerez ce qui est le plus juteux. Celle qui gagnera paiera la tournée.
Je savais que j’allais céder sous peu. Comment pouvais-je garder un secret avec mes copines ? Les infos ne parlaient que de ça – d’une partie, du moins. Et il n’y avait pas trois esprits plus vifs au palais.
J’ai poussé un soupir d’impatience.
— À condition que ça ne sorte pas d’ici.
— Bien entendu, m’ont dit Jill et Claire en chœur. Juré.
Je me suis tournée vers Cindy.
— Ce qui signifie que tu ne publieras rien. Pas un mot de tout ça. Pas avant que je te donne le feu vert.
— Pourquoi ai-je toujours l’impression que tu me soumets à un chantage ?
Elle a secoué la tête, puis acquiescé.
— Bon. Marché conclu.
Jill a rempli mon verre.
— Je savais qu’on finirait bien par te faire craquer.
J’ai bu une gorgée.
— J’ai décidé de tout vous raconter quand tu m’as demandé « La journée a été rude ? »
Détail après détail, je les ai mises au courant de l’affaire jusqu’au jour d’aujourd’hui. L’autocollant que Bernard Smith avait aperçu sur la fourgonnette. Le dessin identique que j’avais découvert à Oakland. La possibilité qu’Estelle Chipman ait pu être assassinée. L’idée de Claire que Tasha Catchings n’ait peut-être pas été une cible accidentelle.
— Je le savais, s’est écriée Cindy, n’ayant pas le triomphe modeste.
— Il faut que tu découvres ce que représente cette image de lion, a insisté Claire.
J’ai opiné.
— Je m’y suis attelée en y mettant le paquet.
Jill – c’est l’assistante du procureur qui parlait – s’est enquise :
— Y a-t-il quelque chose qui relie vraiment ces deux victimes ?
— Rien jusque-là.
— Et le mobile ? m’a-t-elle poussée en avant.
— Pour tout le monde, ce sont des crimes racistes, Jill.
Elle a acquiescé avec prudence.
— Et pour toi ?
— Je commence à les lire autrement. Je crois qu’il nous faut envisager l’hypothèse que quelqu’un recourt au schéma du crime raciste comme écran de fumée.
Un long silence s’est abattu sur notre table.
— Un tueur en série raciste, a conclu Claire.