25.

Au sud de Market, dans un quartier de hangars délabrés, un individu en coupe-vent vert, courbant l’échiné, longeait un trottoir plongé dans l’ombre. Le tueur.

À cette heure de la nuit, dans cet environnement en décrépitude, il n’y avait pas un chat dehors, à part une poignée de clodos qui se pressaient autour d’une poubelle jetant des flammes. Entrepôts abandonnés, commerces aux enseignes électriques éteintes : travaux de ferronnerie... earl king, garant de caution le plus fiable de la ville...

Son regard se porta de l’autre côté de la rue, vers la Septième, et se fixa sur la carcasse d’un meublé inoccupé : 303. Il avait repéré l’endroit avec soin, ces trois dernières semaines. La moitié des appartements étaient vacants, l’autre moitié abritant pour la nuit des SDF qui ne savaient où aller.

Crachant sur la chaussée jonchée d’ordures, il jeta sur son épaule un sac de sport Adidas noir et contourna le bloc jusqu’à la Sixième et Townsend. Il traversa la rue en direction d’un entrepôt barricadé de planches, qu’identifiait uniquement un écriteau à demi effacé : chez aguello... comidas espanol.

S’assurant qu’il était seul, l’assassin poussa la porte métallique à la peinture écaillée, puis plongea à l’intérieur. Son cœur battait assez fort à présent. Il était accro à cette sensation, en fait.

Une odeur infecte l’accueillit dans l’entrée, véritable souricière où s’entassaient vieux journaux et cartons graisseux. Il enfila l’escalier, en espérant ne pas tomber sur l’un des sans-abri qui campaient dans les couloirs.

Il grimpa d’une traite jusqu’au quatrième, où il gagna prestement le bout du couloir. Franchissant une grille, il se retrouva à l’extérieur sur l’escalier de secours. À partir de là, on avait vite fait de grimper sur le toit.

Là-haut, les rues désolées cédaient la place au halo des lumières de la ville. Il se trouvait dans l’ombre du Bay Bridge, qui le dominait tel un immense paquebot. Il déposa son sac de sport sur une bouche d’aération, le dézippa et en retira avec soin les pièces d’un fusil de sniper PSG-1.

À l’église, il me fallait saturer mon tir au maximum. Ici, un seul coup de feu suffira.

La circulation grondant au-dessus de sa tête sur l’autoroute du Bay Bridge, il vissa le long canon au fût puis le verrouilla en place. Manipuler une arme à feu équivalait pour lui à se servir d’un couteau et d’une fourchette. Il aurait pu faire ça en dormant.

Il fixa la visée infrarouge. Il y colla un œil, des formes ambrées devinrent nettes.

Il était tellement plus intelligent qu’eux. Pendant qu’ils se focalisaient sur des fourgonnettes blanches et autres symboles débiles, il était ici, prêt à tout faire éclater au grand jour. Ce soir, ils commenceraient enfin à comprendre.

Son cœur ralentit alors qu’il visait, de l’autre côté de la rue, l’arrière de l’hôtel indiqué par le numéro 303. Au troisième, la fenêtre faiblement éclairée d’un appartement dans la nuit.

Il était arrivé. Le moment de vérité.

Il calma sa respiration et s’humecta les lèvres. Il mit en joue mentalement une image qu’il conservait depuis si longtemps. Il ajusta l’angle de visée.

Puis, quand tout fut bien comme il fallait, il appuya.

Clic...

Cette fois, il n’aurait même pas à signer. D’après le tir, ils sauraient. D’après la cible.

Demain, tout le monde à San Francisco connaîtrait son nom.

Chimère.