42.
Pendant le long trajet retour, Claire Washburn ne cessa de repenser à ce qui venait d’arriver à la pauvre Jill. Tout le long de la 101 jusqu’à son domicile de Burlingame, elle ne put chasser cette terrible vision.
Elle quitta la nationale à Burlingame, s’enfonça dans les collines en montant. La lassitude lui martelait la tête. La journée avait été interminable. Ces meurtres horribles qui déchiraient la ville. Puis Jill qui perdait son bébé.
La pendule numérique du tableau de bord indiquait vingt-deux heures vingt. Edmund jouait ce soir. Il ne serait de retour qu’après onze heures. Elle aurait aimé qu’il soit là. Ce soir entre tous les autres soirs.
Claire s’engagea dans Skytop et, quelques mètres plus loin, dans l’allée de sa maison de style géorgien moderne. Elle était plongée dans le noir ; c’était souvent le cas ces temps-ci avec Reggie parti à l’université. Willie, son lycéen de fils, était sans doute dans sa chambre en train de jouer avec sa console de jeux vidéo.
Elle n’avait qu’une envie : retirer sa tenue de travail et se glisser tranquillement dans son pyjama. Mettre un terme à cette épouvantable journée...
Une fois entrée, Claire appela Willie et, n’obtenant pas de réponse, parcourut rapidement le courrier posé sur la table de la cuisine et l’emporta dans le bureau. Elle feuilleta d’un air absent un catalogue.
Le téléphone sonna. Claire laissa choir le catalogue et décrocha.
— Allô...
Il y eut un blanc, comme si quelqu’un attendait.
Peut-être l’un des amis de Willie.
— Allô... ? répéta Claire. Un, deux... dernière chance...
Toujours pas de réponse.
— Au revoir.
Elle raccrocha.
Un frisson nerveux la parcourut. Même après toutes ces années, quand elle était seule à la maison, un bruit inattendu, les lumières allumées au sous-sol la faisaient trembler.
Le téléphone se remit à sonner. Cette fois, elle décrocha sans attendre.
— Allô...
Nouveau silence exaspérant. Elle commençait à en avoir assez.
— Qui est-ce ? fit-elle d’un ton ferme.
— Devinez, répondit une voix d’homme.
Claire en eut le souffle coupé. Elle jeta un coup d’œil à la présentation de numéro.
— Écoutez-moi, 9014476, dit-elle, je ne sais pas à quel jeu vous jouez ou comment vous avez eu notre numéro. Si vous avez quelque chose à dire, dites-le et vite.
— Vous savez qui est Chimère ? répliqua la voix. Vous êtes en train de lui parler. Que d’honneur, n’est-ce pas ?
Claire s’immobilisa, le dos collé au dossier, l’esprit en éveil : Seule la police connaissait le nom de Chimère. L’avait-on publié quelque part ? Qui savait qu’elle était mêlée à l’enquête ?
Elle appuya sur le bouton d’une autre ligne, prête à composer le 911.
— Vous feriez mieux de me dire qui vous êtes vraiment, dit-elle.
— Je vous l’ai dit. La petite choriste black a été la première, répondit la voix. La vieille salope, le gros flic qui se méfiait pas, le grand patron... vous savez ce qu’ils avaient tous en commun, pas vrai ? Réfléchissez bien, Claire Washburn. Vous avez quelque chose en commun avec les quatre premières victimes ?
Claire tremblait de tous ses membres. Elle revit mentalement les tirs acrobatiques qui avaient tué deux des victimes.
Son regard glissa à l’extérieur de la fenêtre du bureau, vers l’obscurité qui cernait la maison.
La voix reprit :
— Vous voulez bien vous pencher un petit peu à gauche, toubib ?