18.
Plus tard, ce même jour, alors que la circulation de la soirée ralentissait sa voiture de fonction aux abords de son domicile, le DG Mercer lança depuis l’arrière :
— Je crois que je vais descendre ici, Sam.
Son chauffeur, Sam Mendez, lui jeta un coup d’œil. Les consignes du palais étaient : pas de risques inutiles.
Mercer tint bon.
— Sam, il y a plus de flics en service par ici, dans un rayon de cinq blocs, que là-bas, au palais.
D’habitude, une ou deux voitures patrouillaient sur Océan et une autre stationnait en face de chez lui.
La Lincoln s’arrêta en douceur. Mercer ouvrit la portière et en extirpa sa puissante carcasse.
— Passez me prendre demain, Sam. Bonne nuit.
Tandis que la voiture s’éloignait, Mercer, trimballant son épaisse serviette à la main, jeta de l’autre son imperméable mastic sur ses épaules. Il éprouva une bouffée de liberté et de soulagement. Ces petites excursions d’après boulot étaient les seuls moments où il se sentait libre.
Il fit halte chez Kim’s Market où il prit une barquette de fraises à l’aspect engageant et aussi certaines prunes de premier choix. Puis il traversa en flânant pour gagner la cave à vins d’Ingleside. Il se décida en faveur d’un beaujolais pour accompagner le ragoût d’agneau qu’Eunice lui préparait.
Dans la rue, il vérifia l’heure à sa montre et se dirigea vers son domicile. Sur Cerritos, deux colonnes de pierre séparaient Océan de l’enclave protégée d’Ingleside Heights. Il laissa la circulation derrière lui.
Il dépassa la maison de plain-pied appartenant aux Taylor. Du bruit s’éleva d’une haie.
— Tiens, tiens, le Chef... ?
Mercer s’immobilisa, son cœur battant déjà la chamade.
— Soyez pas timide. Ça fait des années que je vous ai pas vu, reprit la voix. Vous vous en souvenez pas, probable.
Et merde, qu’est-ce que ça voulait dire ?
Un grand type baraqué sortit de derrière la haie. Engoncé dans un imper de couleur verte, il affichait un sourire goguenard.
Mercer eut un vague sentiment de déjà-vu, ce visage lui était familier sans qu’il parvienne pour autant à le situer. Puis brusquement, tout lui revint. Et soudain, tout prenait son sens, à lui en couper le souffle.
— C’est un tel honneur, fit l’homme. Pour vous.
Il avait une arme puissante, argentée, qu’il braquait sur la poitrine de Mercer. Ce dernier savait qu’il devait agir. Le percuter. Sortir son propre flingue d’une façon ou d’une autre. Il lui fallait se comporter en flic de terrain à nouveau.
— Je voulais que vous voyiez mon visage. Je voulais que vous sachiez pourquoi vous êtes un homme mort.
— Ne faites pas ça. Ça grouille de flics dans le quartier.
— Bien. C’est encore mieux pour moi. Ayez pas peur, Chef. Là où vous allez, vous rencontrerez plein de vos vieux amis.
La première balle le frappa à la poitrine, brûlant ses vêtements et lui coupant les jambes. La première idée qui vint à Mercer fut de crier. Était-ce Parks ou Vasquez qui stationnait devant chez lui ? À quelques précieux mètres de là. Mais sa voix se perdit, inaudible. Seigneur Jésus, sauvez-moi, je vous en prie.
La seconde balle lui déchira la gorge. Il ne savait plus s’il était debout ou couché. Il voulait charger l’assassin. Il voulait faire tomber ce salopard. Mais il sentait ses jambes... paralysées, inertes.
Le tireur se tenait au-dessus de lui maintenant. Cette ordure lui parlait toujours, mais il ne comprenait plus un traître mot de ce qu’il disait. Le visage du type passait du flou au net sans cesse. Un nom lui traversa l’esprit. Ça paraissait impossible. Il le prononça deux fois rien que pour en être sûr. Sa respiration lui pilonnait les oreilles.
— C’est bien ça, lui confirma l’assassin, en abaissant son arme. Vous avez résolu l’affaire. Vous avez deviné qui est Chimère. Félicitations.
Mercer songea qu’il devrait fermer les yeux – quand l’éclair orange suivant lui explosa en pleine figure.